dimanche 31 janvier 2010

Conte d'horreur

Ça faisait bien plusieurs mois que je voulais m'y mettre. Je savais que tout ça était là, à l'étage, empilé de manière chaotique. Bien sûr, rien n'y paraissait. Une visite superficielle n'aurait pas permis d'apercevoir même un centième de ce désastre. Mais désastre, il y avait et moi, je le savais.

J'ai donc pris mon courage à deux mains. «C'est dimanche, qu'est-ce que je vais bien faire de si intéressant de toutes façons?», me disais-je. Dans le placard, à l'étage, derrière une porte elle-même cachée par un rideau noir, le monstre m'attendait. Ce monstre, c'était l'ensemble de tout ce que ma vie m'avait entraîné à accumuler, mais qui, dans mon condo neuf, n'avait pas vraiment sa place. Des vieux cadres. Des jouets de mon enfance. Des pots à fleurs. Des outils. Des couvertures. Du matériel divers pour le bricolage. Des housses à coussins. Des contenants, beaucoup de contenants. Un an plus tôt, j'arrivais dans mon nouvel espace avec ce désir d'épuration. «Pourquoi accumuler?», répétais-je à qui veut l'entendre, du ton (je dois le dire) un peu supérieur de celui qui détient la vérité. Plusieurs m'enviaient, je crois. Ils enviaient ma capacité à me défaire des biens matériels. Une visite, superficielle, confirmait que j'avais atteint cet état de grâce réservé à ceux qui vivent avec le strict essentiel. C'était sans tenir compte du placard à l'étage.

Quand j'ai ouvert le placard, j'ai ressenti une fatigue soudaine, comme un coup de poing. Toutes ces choses étaient donc à moi? Dois-je ajouter que pas plus d'un centième de tous ces objets ne m'avait servi, pas même une seule fois pendant la dernière année. Décidé, j'ai commencé à sortir toutes ces choses, qui étaient restées empilées, enchevêtrées, imbriquées, pendant une année. J'avais à peine commencé que la pièce était remplie. Les choses semblaient se multiplier. Je tentais de créer des piles: «à donner», «à vendre», «à jeter», «à conserver», «à recontenir», «à diviser», «à rendre», «à replacer», «à réparer», «à réorienter»... Juste en piles, j'en avais déjà par-dessus la tête.

Au bout d'une demi-heure, il était devenu presque impossible de bouger dans la pièce. C'en était dangereux. Plus je sortais de choses, plus il semblait y en avoir. Je découvrais des objets dont je n'avais aucun souvenir, même. Un ventilateur... moi qui est plutôt frileux? Une photo encadrée d'un homme qui, bien que pas mal du tout, ne me disait absolument rien. Aurais-je déjà été amateur de camping? De boxe? De peinture à l'huile? Je continuais tout de même à vider le placard. Je voulais le voir vide, blanc, un espace pour laisser la maison respirer.

Après quelques heures, j'avais l'impression que jamais je ne trouverais cet espace vide. Il était devenu impossible de bouger. Je restais déterminé, mais un peu troublé. Les objets devenaient de plus en plus étranges: des pièces d'auto, des séchoirs à cheveux à casque, des trophées de pêche, des moules à chocolat de Pâques, des canards en caoutchouc, des bustes de grands compositeurs célèbres, des instruments de torture moyenâgeux, des animaux empaillés de diverses races éteintes... Moi, j'empilais, j'empilais, tant bien que mal, en tentant de me faufiler entre les piles. La poussière avait à ce moment envahit l'espace. Tout était sale, gris, jauni. Mon visage aussi était sale. Mes bras étaient couverts de coupures, d'éraflures. Mes vêtements se déchiraient à vue d'oeil, se coinçant à tout moment sur des objets contondants. Il ne fallait pas que j'abandonne, pourtant. Je creusais, je creusais... J'ai mis la main sur ce qui avait l'air d'un ossement de dinosaure. Avec toute la misère du monde, je l'ai placé dans la pile «à donner». J'ai hésité. Je l'ai déplacé vers la pile «à jeter».

Enfin, j'ai vu le fond. Le mur blanc du placard. J'ai trouvé ça beau. Je me suis retourné, afin de poursuivre ma mission de grand ménage, mais impossible. Coincé. J'étais coincé dans ce placard tant la pièce était comblée d'objets. J'ai essayé de pousser, de me frayer un chemin. Il n'y avait plus maintenant qu'une seule chose à faire: refermer la porte. Ça a été dur. Le mécanisme s'est pris dans toutes sortes d'objets durs ou mous, mais j'y suis parvenu. J'ai fermé la porte. À nouveau, j'ai voulu admirer le mur blanc. Mais tout était noir.

J'ai respiré profondément. J'ai trouvé ça beau.

2 commentaires:

  1. Ayoye ! De plus en plus flyé le Tupperwareblog !

    As-tu besoin d'aide pour te sortir de ton placard?

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  2. Peut-être, mais tu sais, on est quand même assez bien, ici... C'est calme.

    Ma série des «contes» n'est pas terminée, alors, restez de fidèles lecteurs et lectrices!

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