mardi 16 novembre 2010

Robert prend un petit congé

Le temps de réfléchir à mon avenir, de mettre de l'ordre dans mes idées afin qu'elles soient aussi bien classées que mes épices ou mes Tupperware de marque Rubbermaid, je ne garantis pas la régularité du blogue pendant les jours qui suivront.

Profitez-en pour relire vos textes préférés! (Et classez-les en ordre, si vous en ressentez le besoin.)

À bientôt!

Robert

lundi 15 novembre 2010

Robert a un an

Voyons voir...

La peau de poulet, contenant de graisseux de la chair du poulet? Les maux de pieds, sujet tabou? Les casinos, à éviter à cause de leur design kitsch? One Way Streets, un spectacle du célèbre metteur en scène Hubert Lesage, mettant en vedette une jeune prostituée? Jean, un homosexuel célibataire qui tue son chat en marchant dessus? Jérémie, un enfant handicapé intellectuellement qui meurt heureux dans un désordre qu'on lui a toujours refusé? Le plaisir du Jell-o, qui réside dans sa surface? La magie du chiffre trois? La vie sexuelle des objets, qui se reproduisent en l'absence des humains? Le désordre des rêves? Les pots sous toutes leurs formes, 28 fois plutôt qu'une? La clarté de l'insatisfaction? L'horreur du crime de mauvais design, tristement impuni? La supériorité esthétique du soccer? Le drapeau du Québec, revu et corrigé? Les vêtements, contenants incontournables du corps humain? La beauté des chiffres ronds? L'espace nécessaire à la survie d'un homme, réduit à celui d'une valise préparée pour filer vers Buenos Aires? La Beauce, pas si horrible après tout? Nos cerveaux, contenants incompréhensibles et mal classés? La perfection, personnifiée par la forme pure de l'oeuf? New York, un contenant pour les New Yorkais, dont le couvercle est la frontière américaine? Les émissions de décoration, version «Décore ton âme»? Le nazisme caché derrière des napperons bien enlignés pour un brunch? L'impossible quête du classement des photos? Un Manitobain détraqué collectionneur de pénis congelés? Les multiples possibilités du glaçage d'un gâteau? Le danger de placer ses canettes de Coke toutes du même bord? Le mensonge du classement des chemises par couleur? La prison de la ponctuation? Le cycle incessant de la vie représenté par une brassée de lavage? Les troublantes tentatives risquées d'un homme qui bouscule ses principes? Les esprits tordus derrière la production de l'émission Comment c'est fait? et ses exténuantes explications? Les angoisses d'une mère? L'ultime livre psycho-pop pour gérer sa vie? Robert Lepage sauvé d'un incendie, laissant le gars qui annonce les Shamwow mourir calciné? Le côté risible de la laideur? L'absurdité des recettes mesurées au poids? L'emballage des cadeaux de Noël, plus important que les cadeaux eux-mêmes? Le plaisir coupable d'apprécier les annonces de Reitmans? Les extraterrestres et leurs vaisseaux décorés de stucco et de petits rideaux de dentelle? Lynda Reeves, reine de la déco? Une ode au matérialisme? La quête contradictoire du «Less is more»? Des maisons 100% plastique? L'écosystème surprenant de la moisissure de patates pilées, peuplé de micro organismes bien organisés?

Tout cela, contenu dans un blogue sur le Tupperware?

En fait, non. Du contenant. Que du contenant. «Un blogue avec du contenant», c'est écrit.

Je m'appelle Robert et j'écris quotidiennement ce blogue depuis une année aujourd'hui. Merci de me lire.

dimanche 14 novembre 2010

Robert mange la peau du poulet

Les signes d'un changement radical à l'échelle planétaire ne cessaient de se multiplier.

Manger la peau du poulet, c'était nocif pour la santé. Dans son emballage épidermique, le poulet emmagasinait tous les mauvais gras, lui qui était pourtant réputé pour être constitué de viande maigre. Le poulet savait que sa peau, une fois mangée, augmenterait les risques d'obésité, les taux de cholestérol et le simple sentiment de culpabilité ressenti chez l'humain trop gourmand. Ce savoir, c'était la petite vengeance du poulet. On voulait l'élever dans des conditions horribles, l'abattre avant même qu'il n'ait pu connaître quelques plaisirs de la vie, le rôtir à la chaîne en ajoutant une quantité astronomique de sel, eh bien, il s'assurerait que sa peau soit croustillante et savoureuse, tuant à petit feu cette race qui avait décidé de le tuer, lui.

Robert aussi savait tout ça. Mais, si la chair est faible, la peau (le contenant de la chair), était si appétissante. Ce soir-là, il dévora donc la peau de son demi poulet en cuisses, qu'il avala, lambeau après lambeau. Robert ne se soucia même pas d'utiliser fourchette et couteau. Il mangea avec ses doigts coupables, qu'il lécha, même, tant ceux-ci étaient tachés non pas du sang du crime, mais bien de cette véritable graisse du crime. Robert offrit un spectacle dégoûtant et indigne de lui. Pire: il aima ça.

C'était clair, le désordre mondial était inévitable.

samedi 13 novembre 2010

Robert porte les mêmes vêtements que la veille

C'était un signe clair que quelque chose ne tournait pas rond. Robert, ce jour-là, portait les mêmes vêtements que la veille. Sans les avoir lavés.

Partout, sur la Terre, on ressentit une vague étrange, qui fit frémir toutes les créatures, des plus grosses jusqu'aux plus petites. Quelque chose s'annonçait. Quelque chose allait se passer. L'apocalypse?

Dans les coins les plus reculés, on se mit à se poser des questions existentielles, à douter du bien-fondé des multiples croyances des différents peuples. En Inde, on se posa la question: «Brûler les morts et les jeter dans le même fleuve où on va se purifier, est-ce bien sage? Et que dire de tous ces excréments?». Dans les grandes citées américaines, on se dit: «Balancer toute notre nourriture dans des bacs de vieille huile bouillante usée pour la faire cuire, est-ce là la solution?». Au Mexique, on constata tout à coup qu'il n'était pas impossible de garder les rues plus propres. Dans plusieurs pays d'Europe, on regarda tant de vieux bâtiments, conservés pour des raisons presque oubliées, et on se questionna: «Ne pourrait-on pas tout raser afin de tout recommencer?». On fit pareil à Montréal, remarquant subitement la laideur générale de l'architecture. Dans certaines régions africaines, on s'arrêta net de manger et on pensa: «Manger des insectes, c'est pas un peu dégoûtant, au fond?». Devant le fouillis visible dans tant de villes d'Amérique du Sud, du Moyen-Orient et d'un peu partout sur le globe, on réfléchit: «Ce désordre, est-ce vraiment une bonne idée? Il ne serait pas temps de mettre un peu d'ordre, dans tous ça?». Partout, on prit conscience de toutes ces choses faites, mais qui pourraient ne pas l'être. L'humanité subit un subit «reality check».

Ce fut brutal. Il fallait tout revoir, tout repenser. Ça ne mentait pas. Robert qui portait les mêmes vêtements que la veille, c'était le début de la fin.

Heureusement, cette fin allait aussi permettre un nouveau début. Le début d'un temps nouveau.

vendredi 12 novembre 2010

Robert et la vengeance du Tupperware

Ce matin-là, Robert n'aurait jamais pu s'imaginer ce qui allait lui arriver. Il se leva, un peu plus tard que d'habitude, un peu enrhumé. Il se prépara à vivre une des journées les plus ordinaires de sa vie. Ce n'était pas ce que le destin avait réservé pour lui.

D'abord, tout fut assez ordinaire: il prit sa douche, but un verre de jus d'orange, regarda son courriel, mangea un peu. Il regarda distraitement la télévision, il fit un peu de lecture, il alla chercher du pain à la boulangerie. Il se prépara un sandwich au thon, il le mangea, il but de l'eau, beaucoup d'eau. Sa journée ordinaire battait son plein. Il ressentait une réelle fierté d'avoir réussi son défi de ne vivre rien de spécial pendant sa journée. Un peu de calme, ça lui ferait du bien. Son corps l'en remercierait en éliminant ce rhume automnal bien ennuyant.

Ça faisait à peine quelques heures qu'il était levé, pas plus de quatre heures, qu'il se dit qu'il méritait bien une petite sieste. Il entra dans la chambre, tira les rideaux, ferma la porte. Il éteignit la sonnerie du téléphone, la lumière de la chambre. Toujours en pyjama, il se coucha, ferma les yeux et s'endormit aussitôt.

Quelques minutes passèrent, puis quelques heures. Il dormait toujours, en rêvant des rêves totalement insignifiants, à l'image de la journée qu'il s'était promis de vivre. La tête bien enfoncée dans son oreiller, il était coupé du reste du monde. Quelle réussite c'était, cette pause sans éclat dans sa vie si occupée! Il se retourna lourdement en gémissant de satisfaction. C'est à ce moment qu'il entendit un bruit.

«Scritch, scritch», que ça faisait. Dans son état semi-éveillé, il ne sut pas interpréter le bruit, qui provenait de sous son lit. «Scritch, scritch». Il n'ouvrit pas les yeux, mais, de plus en plus conscient, il cessait de respirer un instant, question de mieux entendre. Le bruit s'amplifia. Rêvait-il? Il se mordit l'intérieur de la joue, pour voir. Non. Malgré sa confusion, il était maintenant certain de ne plus être endormi. «Scritch, scritch, scritch»: le bruit se fit de plus en plus présent. Il ouvrit les yeux. Rien d'anormal ne venait troubler la paix de la chambre à coucher.

Il s'assit dans son lit. Une présence se faisait sentir, c'était clair. Il frissonna. Tout à coup, la porte de la chambre s'entrouvrit sans grincer. Une ombre se glissa hors de la chambre. Lentement, prudemment, il se leva et cria: «Allô? Allô?!» en s'approchant de la porte.

Dans le couloir, il n'y avait rien d'anormal. Tout était à sa place. Les pattes de la chaise près de la porte d'entrée étaient bien enlignés avec les lattes du parquet, la petite table était bien adossée sur le mur, cachant la prise de courant comme il se devait, le vide-poches était vide, comme il le fallait. La porte d'entrée était bien fermée, verrouillée. Rien ne semblait avoir bougé. Pourtant, ce bruit continuait de se faire entendre, plus loin maintenant. Vers la cuisine.

Robert s'avança silencieusement vers la cuisine. Le bruit petit bruit était maintenant accompagné d'autres bruits: «clonk, fuiiiit, poum, scratch, pop, clac, clish». Soudainement, les bruits cessèrent. Robert profita de ce moment de silence pour s'avancer encore et entrer dans la cuisine. Encore une fois: rien d'anormal. Robert était-il enrhumé au point d'en avoir perdu la tête?

Dans sa cuisine, bien propre et bien rangée, Robert tenta de se calmer. Il n'était pas fou, juste un peu fatigué. Il expira longuement. Il eut un petit rire de soulagement, voyant que toute cette aventure n'en était, au fond, pas une, et qu'il allait atteindre son but de vivre une journée extraordinairement ordinaire, comme il l'avait souhaité. Il pensa: «j'ai soif et un bon verre d'eau me fera du bien.»

Il ouvrit l'armoire pour se prendre un verre. Ils étaient là, pêle-mêle. Il ouvrit les autres portes d'armoires, et les tiroirs. C'était encore pire. Tous les vieux Tupperware dépareillés dont il s'était défait presque un an auparavant étaient empilés dans un désordre incroyable. Ne les avait-il pas donnés à une oeuvre de charité? Ne les avait-ils pas remplacé par un ensemble de marque Rubbermaid tout simple, plus facile à ranger? Ne s'était-il pas promis de ne plus jamais chercher un couvercle manquant de toute sa vie?

Ils étaient revenus. On ne se débarrassait pas aussi facilement de contenants Tupperware dépareillés, accumulé au fil de tant d'année, donné par des vieilles tantes bien intentionnées.

Robert avait perdu la guerre. La «Tupperwar». Il capitula. Son rhume disparut soudainement.

jeudi 11 novembre 2010

Robert regarde le clavier de son ordinateur sans bouger

Ça ne lui arrivait pas souvent, mais, parfois, Robert n'avait rien à dire. Ça ne lui arrivait pas souvent, mais Robert n'avait pas eu d'opinions pointues pendant certaines journées trop ordinaires. Ça ne lui arrivait pas souvent, mais Robert avait une vague impression de se répéter. Ça ne lui arrivait pas souvent, mais Robert se disait même que ça devait bien lui arriver plus qu'il ne le croyait. Ça ne lui arrivait pas souvent, mais Robert se disait qu'il n'avait pas tapé la lettre «w» depuis longtemps. Ça ne lui arrivait pas souvent, mais Robert avait des envie de

paragraphes là où il n'en faut pas. Ça ne lui arrivait pas souvent, mais Robert trouvait le rebord en coin de son MacBook bien joli, mais un peu inconfortable pour les avant-bras. Ça ne lui arrivait pas souvent, mais Robert doutait de l'accord au pluriel de certains mots composés. Ça ne lui arrivait pas souvent, mais Robert ne terminait pas ses. Ça ne lui arrivait pas souvent, mais Robert avait honte. Ça ne lui arrivait pas souvent, mais Robert se disait que l'écriture automatique, c'était une forme d'écriture peu respectable. Ça ne lui arrivait pas souvent, mais Robert insérait des phrases dans des textes sans trop savoir pourquoi. Ça ne lui arrivait pas souvent, mais Robert avait une vague impression de se répéter.

Ça ne lui arrivait pas.

Pas souvent, en tous cas.

mercredi 10 novembre 2010

Robert fait la sieste

Oui, Robert était travaillant, mais ne méritait-il pas, lui aussi, de temps à autre, la tête bien reposée sur un coussin de lapin, une petite sieste?

mardi 9 novembre 2010

Robert a mal aux pieds

Robert, ce soir-là, avait mal aux pieds. Il souffrait en silence, ne voulant pas importuner les autres avec ses petits malaises. Parler de son mal de pieds, il ne trouvait pas cela intéressant. Il préféra donc garder secrète sa douleur.

Il se sentit fort de ne pas même s'échapper auprès de ses proches. Il se dit: «C'est une vraie preuve d'héroïsme, cette absence de plainte» en se gonflant le torse de fierté. Il garda le sourire, même en marchant. Quand il marchait, chacun de ses pas était comme une petite torture, mais il n'allait pas craquer. Il désirait se contenir, faire le brave. Debout, immobile, c'était pire. En dedans, son corps envoyait des signaux de détresse bien qu'à l'extérieur, tout n'exprimait que calme et confort. Il écoutait comme d'habitude. Il discutait comme d'habitude. Il riait, même. C'était comme s'il jouait un rôle à merveille: l'illusion était parfaite. Même lui, par moments, y croyait. Les secousses douloureuses sous la plante de ses pieds le ramenaient bien, momentanément, à la réalité, mais il ne laissait rien paraître. Pourquoi importuner les autres avec quelque chose d'aussi banal qu'un mal de pieds?

Les gens, il le savait, avaient tant d'autres préoccupations: des enfants qui ne performent pas bien dans leurs cours de violon, des listes d'épicerie à écrire, du souci à propos de la couche d'ozone, de la peine de n'avoir pas bien conclu une conversation avec un parent, des miettes à ramasser dans le fond de leur tiroir à ustensiles, la peine de mort toujours en vigueur dans tant de pays, des crèmes de champignons renversées, des boîtes de mouchoirs de papier presque vides (parfois ne contenant que le dernier, qui pendouillait pathétiquement), des doutes à propos de la sincérité des sentiments de l'être aimé, des troubles de vision nocturne, des remords à propos d'événements historiques passés mais qui hantent toujours, des couvercles de pots à épices mal fermés qui tombent dans une paella entraînant dans leurs chutes un excédent d'épice, la faim dans le monde, la guerre, la mort, la calvitie... Tant de sujets, tous importants, par moment.

De plus, il savait qu'il n'avait pas de cor. Pas de callosité. Pas d'infirmité particulière. Ses pieds étaient normaux. Simplement fatigués. Ça ne méritait pas qu'on en parle. Il n'y avait rien de nouveau à dire à ce sujet. Ses pieds lui faisaient mal, et après tout? On n'allait tout de même pas lui organiser un téléthon! D'autres souffrances humaines passaient bien avant son petit trouble même pas digne d'un podiatre. Aucun article de journal n'allait être écrit à ce sujet. Aucun roman. Aucun film hollywoodien.

Ça ne valait même pas quelques minables paragraphes.

lundi 8 novembre 2010

Robert ne sait pas quoi faire pour souper

Robert aimait bien manger. On pouvait dire de lui qu'il appréciait faire bonne chère, même s'il n'était pas fou de cette expression et de son orthographe illogique. Il réglerait bien cette nocive fantaisie de la langue française un jour, si on finissait par lui donner enfin les rênes décisionnelles qu'il se disait mériter. Il aurait tant aimé avoir un peu (ou beaucoup) de pouvoir sur le monde qui l'entourait, lui qui savait toujours quoi penser, et comment.

Par contre, ce soir-là, Robert faisait face à quelque chose d'inhabituel: l'indécision. En effet, il ne savait pas quoi faire pour le souper. Manger, manger, il voulait bien, mais il vint à trouver que les choix s'offrant à lui étaient somme toute limités. Oui, il y avait bien des ingrédients disponibles, bien des façons d'apprêter ces ingrédients, en s'inspirant de tant de cultures culinaires, mais, au bout du compte, tous ces choix ne finissaient-ils pas par revenir au même?

Ce soir-là, Robert se dit qu'il avait fait le tour des options comestibles et ne voulut pas se résigner à répéter cet incessant cycle. Il se mit à réfléchir aux ingrédients de base. Des fruits de mer? Il en avait mangé avant-hier. Du boeuf? Ce choix ne revenait-il pas sans cesse? Du poulet? Vous voulez rire?! Cette bestiole devait bien bondir dans tous les plats qu'elle voyait! Du riz, des pâtes, des tortillas, du pain baguette, de la pâte à tarte, du couscous, du pain nan, du pain de seigle, des crêpes, des galettes... Tout ça, ce n'était que des variations sur un même thème, pensait-il. Les légumes, bien que nombreux, ne finissaient-ils pas eux aussi par perdre leur lustre de nouveauté après tant d'années de cuissons, même variées? Que restait-il? Les fruits? Pour souper? Ces derniers n'avaient jamais prouvé beaucoup d'autonomie pour satisfaire l'appétit. On pouvait bien les mélanger, mais à quoi? Les produits laitiers, il ne voulait même pas en entendre parler, tant il semblait les connaître comme de vieux amis qui radotent sans cesse les mêmes histoires. Les oeufs, c'était bon, simple, oui, mais ne venait-il pas d'en ingérer pas plus tard que quelques heures auparavant? Les épices, c'était bien beau, il y en avait des centaines, des milliers! Mais pour épicer quoi? Toutes ces choses comestibles, il y pensait ce soir-là et en baillait d'ennui.

Le temps passait, passait, et Robert n'avançait pas dans sa réflexion. Ses attentes élevées pour la nouveauté l'empêchaient carrément d'arrêter son choix sur un repas. Il ne lui restait que deux solutions: jeûner ou baisser ses attentes.

Il tenta le jeûne, jusqu'à ce qu'il ressente un petit creux. Après ce qui parut être la plus longue demi-heure de sa vie, il revit ses attentes à la baisse. Il se précipita au petit marché du coin et il fit une chose terrible: il improvisa. Il se laissa emporter par le flot de la vie, par le fruit du hasard.

Un peu plus tard que d'habitude, trente minutes pour être exact, il mangea.

Étrangement, il arriva même à trouver ça bon.

dimanche 7 novembre 2010

Robert au casino

Robert détestait les casinos. Toutes ces lumières clignotantes, ces machines visuellement et auditivement polluantes, cette décoration ostentatoire à la limite du kitsch, vraiment, Robert avait tout ça en horreur.

Or, pour toutes sortes de raisons, ce soir-là, Robert était allé passer la soirée au casino.

Dès son arrivée, ça le frappa: ici, le bon goût n'avait pas sa place. Et le bon goût, Robert connaissait. Si un jour l'humanité décidait de légiférer sur le bon goût, il serait le candidat idéal pour en déterminer les limites. D'ailleurs, il rêvait souvent à ce jour, en s'imaginant, penché sur des dossiers chauds comme l'interdiction ou non du foulard musulman sur des bases uniquement visuelles. De cet angle, avec son jugement aiguisé, il se sentirait enfin vraiment utile à la société.

Au casino, si on lui avait donné la responsabilité de décider de l'existence de ce qui l'entourait, même avec beaucoup de bonne volonté de sa part, il n'aurait pas resté grand chose. Sous ses pieds, les tapis bariolés se suivaient, mais ne se ressemblaient pas, sinon dans leur désir d'agresser le regard. Au-dessus de sa tête, des faux plafonds aux textures aussi variées que clinquantes, semblaient s'abattre sur les têtes. Devant, que du laid: des machines massives, joufflues, aveuglantes de leurs lumières multicolores et jamais tamisées. Tout autour, rien n'était subtil, doux, apaisant. Tout n'était présent que pour étourdir.

La laideur, devait-il le dire, s'était aussi malheureusement emparée des gens qui fréquentaient l'établissement. Il vit des coiffures ridicules, des robes et même des vêtements masculins envahis de paillettes, des maquillages excessifs sur tant de personnes pathétiquement bien intentionnées. D'autres, eux, avaient opté pour le confort: pantalons sans forme, souliers insignifiants, chandails de coton ouaté décorés de têtes de loups. Chez tout ce monde, des regards hagards, hypnotisés. Heureusement, Robert n'était pas ici pour être baigné de beauté, ni même pour aller à la rencontre de confrères humains, mais pour jouer. C'était l'utilité d'un casino, non?

Il s'approcha de quelques machines. Non seulement le fouillis visuel ne permettait pas ce moment de détente qui lui semblait pourtant propice dans un «lieu de divertissement», mais tout paraissait conçu pour créer la confusion. Même les actions les plus simples se voyaient compliquées. Où fallait-il mettre l'argent? N'était-ce pas là le but premier de ces appareils? Tant de fentes, de trous, d'interstices se côtoyaient. Tant d'instructions écrites en lettres minuscules, sans aucun souci d'équilibre graphique ne faisaient croire qu'à un travail de dernier de classe d'une école de design de bas étage. Tant de boutons s'alignaient, quand, au fond, un seul aurait sans doute suffit.

Tentant de faire fi de ce désastre conceptuel, Robert tenta de jouer. Jouer? À quoi donc jouait-on, ici, au fait? Pour jouer pour vrai, ne fallait-il pas être mis au courant du but du jeu? Certains arrangements plaisaient à l'oeil de Robert, comme cette série «citron - lingot d'or - citron», si douce à l'oeil de par sa monochromie, mais ne valaient pas de récompense. En revanche, les gros lots, souvent, apparaissaient aux moments les plus incompréhensibles, alors que la machine, avec des motifs étoilés démodés ou des images stroboscopiques, redoublait d'ardeur pour déplaire esthétiquement. Ces «jeux» ne faisaient preuve d'aucune logique, vraiment.

Au bout de la soirée, après de multiples tentatives de comprendre cet univers, Robert se retrouva exactement avec le même montant d'argent qu'à son arrivée. Cela lui plut. Il trouva, dans l'absurdité de cet échange entre son argent à lui et l'argent du casino, un équilibre rassurant.

C'était, pensa-t-il, le seul élément équilibré de toute cette aventure.

samedi 6 novembre 2010

Robert rencontre Martine

Robert aimait bien les enfants. Ceux des autres. Pas plus de quelques heures d'affilée. Sous surveillance (et quelques sédatifs, au besoin). C'est ce qu'il disait.

Cet après-midi là, il devait passer un peu de temps chez sa vieille tante, car, oui, Robert n'était pas seul au monde. Cela dit, cette vieille tante, il ne la voyait presque jamais. Elle était autonome, après tout. 90 ans et elle préparait elle-même son gruau du matin. C'est qu'elle en avait dedans, la vieille!

Normalement, les visites se déroulaient toujours de la même façon: Robert arrivait, il donnait à sa vieille tante une quelconque plante en pot, ils prenaient place à la table de la cuisine et buvaient du thé au lait avec des petits biscuits secs pendant que la vieille tante racontait tout ce qui s'était passé depuis la dernière visite (c'est à dire: rien) à Robert qui s'efforçait de ne pas voir la décoration trop chargée qui semblait foncer sur lui, comme une bande de loups voraces autour d'un petit poulet. Une fois, un bibelot en fausse porcelaine représentant une fermière entourée de lapereaux recouverts de minuscules cristaux brillants avait lancé un regard menaçant à Robert. Il l'aurait juré.

Ce jour-là, cependant, la routine fut brisée. En effet, La vieille tante avait auprès d'elle une jolie petite fille, la nièce de la fille de la voisine (ou quelque chose du genre). Cette enfant, qui portait une robe rose toute délicate, bien qu'un peu courte et qui laissait voir impudiquement sa petite culotte, s'appelait Martine.

Dès que Robert entra chez sa vieille tante, Martine se jeta sur lui. Il faillit échapper son dieffenbachia enveloppé dans une pellicule plastique transparente. «Bonjour, toi, comment allez-vous?», dit-il à l'enfant qui le serrait au niveau des genoux. «On va jouer!», répondit la gamine, enthousiasmée. Robert eut à peine le temps de poser la plante sur la table et de saluer sa tante qu'il se retrouva assis par terre devant un arsenal de poupées et de pouliches roses en plastique.

«La celle avec des coeur dessus, c'est ma mienne, ok?», dit Martine. Robert eut envie de rectifier les erreurs de syntaxe de cette fillette, mais l'enthousiasme de cette dernière eut raison de cette réplique. Il répondit donc: «Bon, moi je vais placer les poupées en rang et on va leur faire une course de pouliches, ok?». La vieille tante, qui préparait le thé en regardant vaguement une vidéo de pilates d'une ancienne plongeuse olympique, jeta un coup d'oeil attendri vers Robert.

Quelques minutes plus tard, Fard-à-joues battait Crinière-dorée à plate couture devant une foule en délire. Le thé était prêt. La vieille tante prit place à table, attendant que Robert vienne la retrouver. Celui-ci, cependant, n'était pas prêt à boire le thé. Il avait la tête ailleurs. Il exigea une course de revanche, cette fois-ci avec une pouliche plus robuste. Il n'allait pas se faire humilier devant tant de poupées disparates, ah non. Il sélectionna attentivement la pouliche fuchsia avec des points jaune clair et annonça que Fifi-brindacier allait se mesurer à Fard-à-joues.

La vieille tante buvait son thé, trempant des biscuits secs dedans avec précaution, en prenant soin de ne pas laisser flotter trop de miettes dans le liquide chaud.

Robert et Martine durent bien jouer plusieurs heures ensemble, pas seulement avec les pouliches (Robert délaissa les pouliches dès sa première victoire, celle de Gomme-à-mâcher), mais avec des jeux de toutes sortes. Martine n'était pas arrivée les mains vides. Son sac à dos était rempli de jeux et de jouets, tous plus colorés les uns que les autres. La plupart de ces objets étaient tout sauf monochrome et épuré, mais Robert ne sembla même pas s'en rendre compte.

Quelques heures plus tard, la maman de Martine, une pimbêche peroxydée, arriva pour venir chercher sa fille. Elle regarda Robert, couché par terre, recouvert de fleurs fabriquées en cure-pipes aux tons pastel. Martine conduisait une petite voiture de Barbie sur le ventre de Robert, tentant de ne pas écraser les fleurs. Il y eut un petit moment de malaise, puis Martine et sa vilaine maman quittèrent en remerciant la vieille tante de son hospitalité. Robert quitta à son tour, voyant que la vieille tante s'apprêtait à regarder à la télévision un film d'action américain, mettant en vedette Steven Seagal, traduit en français. Il embrassa sa vieille tante qui lui sourit, d'un air complice qu'il n'arriva pas à décoder, puis sortit.

Le thé refroidi de Robert resta sur la table jusqu'à la première pause publicitaire, puis la vieille tante le vida dans l'évier de la cuisine, lava la tasse et la replaça dans l'armoire, anse du bon côté, auprès des autres.

vendredi 5 novembre 2010

Robert renverse une sopa de lima

Robert n'aimait pas gaffer. Ce soir-là, il voulut simplement sortir un sac de pain du réfrigérateur et entraîna un contenant Tupperware de marque Rubbermaid droit vers le plancher de la cuisine.

Il n'y eut pas de ces moments de ralentis que disent souvent avoir vécu les gens qui font des gaffes. Non. La soupe, en une période de temps qui parut même encore plus courte que la seconde nécessaire à la chute réelle, se répandit partout. Elle éclaboussa dans tous les sens, se propulsant hors du contenant, qui perdit son minable couvercle.

La sopa de lima était une soupe que Robert affectionnait particulièrement. Faite avec amour, cette soupe avait été préparée avec un bouillon de poulet biologique maison. Certains des ingrédients avaient été achetés dans une petite boutique de produits alimentaires mexicains, ravissant le vendeur (un Mexicain) qui s'exclama: «Ah, une sopa de lima! Merveilleux!» en dénichant un de ses meilleurs petits pots de salsa habanera pour le vendre à Robert.

Robert n'arriva pas à trouver l'incident amusant. Il nettoya le plancher sans le moindre sourire.

jeudi 4 novembre 2010

Robert prend des shooters

Oui, ça lui arrivait, Robert faisait parfois preuve d'excès. Ce soir-là, il rencontra un certain Jack Daniel.

Ce genre de rencontre excessive lui permettait d'être encore plus mesuré le lendemain.

C'était un phénomène qu'il ne comprennait pas, mais qu'il avait fini par accepter comme quelque chose d'inévitable.

Heureusement (?)...

mercredi 3 novembre 2010

Robert dans la toundra

Robert se sentait bien, tellement bien. C'était comme s'il s'était défait d'un poids énorme, comme un ciel dégagé après une averse. Les tensions s'étaient accumulées, petit à petit, mais maintenant, il se trouvait libre.

«Jamais je n'aurais cru possible de laisser s'encombrer ainsi un congélateur», se dit-il, en regardant fièrement l'intérieur du congélateur de son réfrigérateur maintenant nettoyé et bien rangé.

En effet, depuis quelques mois, il s'était laissé aller. Il n'avait pas été vigilant et avait ignoré certains signes: des bleuets qui roulent par terre, des aliments similaires placés dans deux sections différentes, des restes dignes d'une excursion archéologique dans une toundra glacée. Il y avait pire: ces cubes de glace, partout, partout.

Parfois, il regrettait son choix d'électroménager. Son réfrigérateur, acheté au moins dix ans plus tôt, était magnifique, tout paré d'acier inoxydable et beaucoup plus beau que tous ces récents modèles affublés de vulgaires courbes (qui polluaient carrément les magasins depuis quelques années), mais le congélateur était franchement minuscule. Il avait choisi, à l'époque, un de ces nouveaux modèles munis d'un congélateur non pas situé dans la partie du haut, mais dans la partie du bas. Il avait cru en cette innovation. Il s'était dit que c'était une nette amélioration d'un design classique, pas juste une fonction nouvelle pour pousser les gens à consommer. Il avait été heureux longtemps de cette acquisition. Seulement, depuis quelques temps, il s'était rendu compte que tout changement apporte sa part de bien et de mal.

Le congélateur, dans la partie du bas, était plus petit que celui des modèles précédents. La raison? Comme il fallait se pencher pour atteindre le contenu du congélateur, les concepteurs de cet objet avaient imaginé un système de tiroir à glissière. À première vue, c'était là une alternative sensée. Mais c'était sans compter toute la perte d'espace que ce mécanisme allait faire perdre à l'habitacle glacé. De plus, une fois l'espace utilisé ou encombré, cette glissière se trouvait parfaitement inutilisable. Avec des glaçons dispersés partout, c'était encore pire.

Ah, oui, c'est que Robert s'était aussi procuré l'option «machine à glace». De la belle glace fraîche, sans avoir à remplir de désuets contenants qu'on ne sait jamais où mettre et qui renversent au moindre faux mouvement vers la tablette, n'était-ce pas là une porte ouverte sur un monde d'harmonie et de paix? La réponse comportait sa dose de nuances. Oui, la machine permettait de jouir de glaçons sans effort. Le système fonctionnait très bien. Trop même. En effet, la machine était si zélée que les cubes de glace pouvaient facilement finir par envahir tout l'espace, se faufilant partout, derrière les tablettes, sous le système de tiroir à glissière, parmi les aliments pris prisonniers.

Cette apparence de désordre était un milieu propice au relâchement. Ainsi, Robert, parfois, se laissait aller à une paresse qui ne lui ressemblait pas. Il ne refermait pas les boîtes de raviolis chinois. Il n'emballait qu'approximativement les blocs de parmesan. Il empilait les Tupperware n'importe comment, comme un amateur. Il achetait des produits qu'il possédait déjà, mais qui étaient inatteignables ou tout bonnement invisibles. Même ses boîtes de bicarbonate de soude n'étaient pas changées régulièrement. Il en avait déjà libéré certaines qui devaient bien avoir passé plus de cinq mois à attendre, tentant tant bien que mal de remplir leur rôle désodorisant.

Mais voilà, aujourd'hui, il était passé à l'action. Il avait tout vidé, tout nettoyé. Il avait remplacé la boîte de bicarbonate de soude. Il avait classé les aliments congelés comme il se devait. Il en avait jeté plusieurs. En pas plus d'une quinzaine de minutes, il était arrivé à faire tout ça. Et il se sentait tellement mieux. Il redécouvrait avec joie l'intérieur de son congélateur. Pourquoi s'était-il si longtemps privé de ce plaisir? «Plus jamais», se promit-il.

Il resta assis longuement sur les tuiles du plancher de la cuisine, devant cette porte ouverte, regardant l'intérieur de son congélateur. Ça lui fit tout chaud en dedans.

mardi 2 novembre 2010

Robert et les robots

Robert, ce jour-là, avait beaucoup à faire.

Il fallait passer l'aspirateur. Le four devait être récuré. Le disque dur de son ordinateur devait être nettoyé (tant d'autres opérations devaient être exécutées pour permettre le bon fonctionnement de son ordinateur). Au congélateur, il ne restait plus de glaçons. Il devait laver les serviettes blanches. Sécher les linges à vaisselle. Il y avait beaucoup de vaisselle sale, aussi. La douche, elle, demandait un entretien constant. De plus, il ne voulait pas manquer sa série télévisée préférée, même si on disait de cette émission qu'elle était destinée à un public de préadolescentes impopulaires.

Son réveille-matin préprogrammé le réveilla de très bonne heure. Il prit sa douche (à température constante programmée) puis vaporisa les tuiles d'un produit fantastique dont «les particules s'activent d'elles-mêmes pendant toute la journée», selon la publicité. Il entendit un bruit: c'était la chute des glaçons de la machine à glace intégrée à son congélateur. Il mit les serviettes blanches dans la laveuse et appuya sur le bouton. Il mit les linges à vaisselle dans la sécheuse et appuya sur le bouton. Il appuya sur le bouton de mise en marche de son four autonettoyant. Il ferma la porte du lave-vaisselle, qui partit tout seul puisque c'était un Bosch. Pendant ce temps, les tâches préprogrammées sur son ordinateur s'abattaient, une à une. Il appuya sur le bouton de son aspirateur robot et quitta la maison en armant sur le système d'alarme, d'un doigt enfoncé sur une touche.

Il ne revint que plusieurs heures plus tard, quelques heures après la diffusion de son émission préférée, qui avait été enregistrée automatiquement grâce au système de programmation. Il regarda son émission.

Exténué, il alla se coucher. Il ferma les yeux et se trouva bien seul à devoir contrôler toutes ses pensées, jusqu'à ce qu'il tombe enfin dans un sommeil profond.

Toute la nuit, il rêva. Des rêves qu'il n'eut pas l'impression d'avoir à inventer lui-même.

lundi 1 novembre 2010

Robert au pays de l'infiniment petit

Robert, ou plutôt ce qu'il en restait, se trouvait un peu sonné, mais n'allait pas laisser tout tomber, comme ça, simplement pour avoir été dévoré par des morts vivants. Non, non. Robert, c'était un combattant. Il regroupa donc le plus grand nombre de lambeaux microscopiques de son corps et les façonna de manière à former une petite boule: une boulette de Robert, miniature, composée de quelques atomes tout au plus.

La boulette, à son avis, c'était une idée formidable. «Une sphère, ça roule», s'était-il dit. Il se mit donc sur le chemin du retour vers sa maison, afin de terminer cette omelette, avec ou sans lait. Il pourrait peut-être simplement n'y ajouter qu'un peu d'eau?

Comme il était rendu infiniment petit, par contre, le trajet n'allait pas être de tout repos. Heureusement, avec sa taille réduite, il passerait inaperçu devant d'éventuels morts vivants, zombies ou autres monstres terrifiants et affamés.

Ça devait bien faire une demi-heure qu'il roulait et il se rendit compte qu'il avait à peine avancé d'un millimètre. Peu enclin à se décourager rapidement, il poursuivit son odyssée. Sa nouvelle forme et son échelle réduite, au fond, ne l'avaient pas changé, du moins, pas essentiellement. Il restait le même Robert, mais moins en volume, c'était tout. Ce qui avait changé, c'était sa perception du monde qui l'entourait.

En effet, il se mit à remarquer une foule de choses qu'il n'avait jamais vraiment perçues auparavant. La saleté du sol, qui normalement l'aurait dégoûté, paraissait plus organisée d'un point de vue infiniment petit. Chaque atome de saleté se tenait bien à «un bras» de distance de son voisin, dans un système étonnamment complexe mais rigoureux. Les taches cristallisées, surtout, formaient des compositions dont il pouvait maintenant apprécier toute la subtile géométrie. Les tuiles collantes du plancher paraissaient être de plaisantes collines, vue leur porosité. Même la lumière était différente. Cet espace lugubre, agrandi plusieurs fois, s'était transformé en un arrangement ajouré, comme une fine dentelle mathématiquement brodée, où il était possible de voir au travers des objets.

Dans cet univers, qu'il découvrait avec bonheur au fil de son périple, tout lui semblait beau. L'extrême organisation de ce qui l'entourait lui fit presque regretter de ne pas avoir atteint cette taille plus tôt. Il se rendit compte avec joie qu'un atome, bien qu'il fût celui d'une quelconque saleté, ne pouvait pas être sale, lui. Il se sentit en paix. Il se sentit invincible.

D'ailleurs, au-dessus de lui, il avait remarqué des pas. Mais même ces pas n'arrivaient pas à l'écraser. Il resterait toujours une distance minime entre lui et son environnement, entre la boulette qu'il était devenu et les atomes d'une éventuelle semelle de soulier. Ce soulagement lui fit se poser une question: «Moi-même, ne suis-je pas composé d'atomes qui ne se touchent pas vraiment?», puis il s'observa.

C'était vrai. Chaque petite particule du Robert qu'il était maintenant n'était pas attachée à l'autre. Entre chacune, un espace, un vide. Un petit creux.

C'est vrai qu'il n'avait encore rien mangé de toute la matinée.

dimanche 31 octobre 2010

Robert et les morts vivants

Il faisait froid, ce matin-là. Robert, à son réveil, dut augmenter la température du plancher chauffant de la salle de bain. Au bout de quelques minutes, sous ses pieds, les tuiles de céramique noires dégageaient déjà une bienfaisante chaleur. Robert put donc faire sa toilette du matin bien réconforté par son plancher, qu'il aimait tant. Il ne trouva pas sa brosse à dents, mais se dit qu'il méritait bien d'en déballer une nouvelle. Il en retira une du tiroir où il gardait ses brosses de rechange, bien rangées côte à côte comme dans un magasin.

Puis il s'habilla chaudement, et commença à préparer son petit déjeuner. Il voulut faire une omelette, mais au moment où il voulut verser un nuage de lait dans sa préparation afin de la rendre plus duveteuse, il se rendit compte que le contenant de lait avait été rangé vide au réfrigérateur. «Étrange», se dit-il. En effet, ce genre de distraction, ce n'était pas son genre.

Il décida donc d'aller au petit marché du coin afin d'acheter du lait. Il ouvrit la porte du placard d'entrée, pour y chercher son manteau noir Jack & Jones, celui qui était trop chaud pour une journée normale d'automne, mais pas assez pour une journée d'hiver. Il serait juste parfait pour cette calme journée d'automne, fraîche et grise. Ce manteau noir était facile à repérer. Il plaçait toujours les manteaux en camaïeu décroissant, du noir au blanc. Si plusieurs manteaux étaient de la même couleur, c'était le degré d'épaisseur qui dictait l'ordre. Bref, à gauche, vers le milieu de la section des manteaux noirs, se trouverait ce manteau idéal, qu'il ne pouvait pas porter bien plus souvent qu'une dizaine de jours par année. Cependant, lorsqu'il tendit la main vers l'endroit approprié, il ne trouva pas le manteau. Il dut parcourir toute la gamme de coloris pour enfin trouver son manteau camouflé entre un parka vert armée et un coupe-vent vert bouteille. «Très étrange», pensa-t-il. Pourquoi ce manteau s'était-il retrouvé là?

Il descendit dans la rue. Dehors, le matin brumeux ne laissait voir aucune âme qui vive. Les trottoirs étaient déserts, les rues comme arrêtées dans le temps. Arrivé devant le marché du coin, il observa une petite pancarte écrite à la main: «De retour dans 5 minute». Sans «s». Comme il n'avait vraiment pas envie d'attendre le retour de ce dernier de classe, il entreprit d'aller au marché qui se trouvait un peu plus loin, de l'autre côté du pont.

En marchant, seul le bruit de ses pas brisait le silence qui régnait sur son quartier. Il passa sous le pont, où aucune voiture ne roulait. Il entra enfin dans ce petit marché qu'il ne fréquentait normalement jamais. Il le trouvait sombre, sale, lugubre. Il parcourut l'allée centrale, afin d'atteindre le comptoir réfrigéré, tout au fond, qu'il détecta au vrombissement de son moteur de système de réfrigération.

Devant les portes vitrées, s'étalaient devant lui contenants divers, poussiéreux et au design graphique qui semblait avoir été créé des décennies plus tôt. Il repéra la section des produits laitiers. Les contenants de lait ne se trouvaient pas à la hauteur des yeux, comme il se devait, mais plutôt sur la tablette du bas, près du plancher de tuiles collantes et affichant une mine négligée. Il se pencha, ouvrit la porte. «10 - 31 - 78», que c'était écrit sous l'inscription «meilleur avant» du litre de lait qu'il choisit. 78? Ce chiffre ne pouvait être le jour, encore moins le mois. Il conclut donc qu'il s'agissait de l'année. 78. Comme dans 1978? Il brassa le contenant. À l'intérieur, de probables grumeaux faisaient un bruit sourd de vagues gluantes. Sans hésiter, il reposa le contenant sur la tablette, referma la porte vitrée et se retourna pour quitter ce commerce indigne.

«On peut vous aider?», dit alors une voix rauque. Il leva les yeux. Une femme en décomposition le regardait, du seul oeil qui lui restait. Robert figea, glacé d'effroi. «Il n'est pas assez bon pour vous, mon lait?», ajouta la femme, d'un ton hautain qui contrastait avec son look franchement négligé. «Non, non... Il est parfait, votre lait. C'est juste que...», répondit Robert en bégayant. Alors, il poussa tout le contenu d'une tablette remplie de nourriture pour chiens sur la femme, la jetant au sol, et prit la fuite.

On lui bloqua aussitôt le passage. Il fit face à une bande de créatures vaguement humaines, qui le dévisageaient en bavant. Prenant son courage à deux mains, il lança: «Mais, qui êtes-vous?». Le plus décomposé, un homme d'âge mûr qui ne savait définitivement pas comment agencer ses vêtements, lui répondit: «Nous vivons partout autour de toi. Nous sommes les morts vivants. Nous nous cachons partout. Nous voulons te manger.»

Tous se jetèrent sur Robert. Ce dernier tenta de se réveiller, croyant à un cauchemar. Mais non. Ce n'était pas un rêve.

Des lambeaux et des miettes de Robert traînèrent sur le sol froid du petit commerce. Le sang cailla rapidement.

Chez Robert, sur le comptoir, des oeufs battus attendirent un nuage de lait en desséchant lentement, lentement.

samedi 30 octobre 2010

Robert à la page

Robert avait une relation particulière avec la mode. Il aurait aimé ne pas aimer, mais, au fond, il aimait. Cela l'entraînait à suivre les modes, mais d'une manière décalée. Il aurait aimé être en constante avance sur son temps et s'en vantait dès qu'il en avait l'occasion, mais il lui arrivait aussi de rester accroché à certaines vagues, ce qui ne faisait pas particulièrement de lui un exemple d'air du temps. Il fallait voir sa garde-robe pour bien comprendre.

Par exemple, il s'était procuré une chemise western bien avant la sortie du film Brokeback Mountain, il y a de ça quelques années. Il s'était senti à cette époque en avance sur son temps. Il s'enorgueillissait alors d'avoir été un genre de précurseur, de visionnaire. La mode? Il la pressentait tant il avait de goût! Ce n'était, la plupart du temps, bien sûr, qu'un heureux hasard. Plusieurs années après la sortie de ce film marquant pour lui vestimentairement parlant, il portait toujours régulièrement ce genre de chemise et en achetait dès qu'il en trouvait, bien que cette mode soit maintenant vue comme dépassée. Alors, il se disait fier de ne pas se soucier des modes, qu'il était un être unique, libre penseur. Étrangement, c'est plutôt pendant cette courte période où les chemises western étaient effectivement en vogue qu'il n'osait pas porter les siennes. Suivre les modes, lui? Jamais.

Robert était donc à la fois victime de la mode sans ne jamais être complètement dans le coup.

Avec sa décoration intérieure, c'était pareil. Un des premiers à avoir osé le gris, il s'empressa de tout repeindre en rouge dès que cette couleur s'était retrouvée sur toutes les pages des magazines de décoration qu'il aimait tant (un amour teinté de dédain, bien entendu). Il y reviendrait, un jour, alors que cette couleur serait vue comme démodée. Bien sûr, il savait bien que le gris reviendrait bien un jour, plus tard. Il se verrait donc non pas comme un nostalgique, mais bien comme un être définitivement en avance sur son temps.

Robert savait que la mode n'était qu'une invention faite pour pousser l'être humain moderne à consommer. Pour cette raison, il se disait contre. Mais ces paroles ne l'empêchaient jamais d'acheter, d'acheter et d'acheter encore. Il pouvait toujours se convaincre que de consommer avec excès, chose de plus en plus mal vue étant donné la vague environnementaliste qui sévissait dans le monde, n'était pas un signe de passéisme, mais bien d'un futurisme raffiné. Le discours environnemental n'allait tout de même pas rester à la page ad vitam aeternam, se disait-il. Comme toute chose est cyclique, il se confortait en croyant fermement que sa façon effrénée de consommer allait un jour redevenir bien vue. Il pourrait dire alors: «Moi, je consomme comme un déchaîné depuis bien avant que ce soit la chose à faire!», tout fier. Il ralentirait alors probablement son rythme de consommation, parlerait de recyclage, de forêts dévastées, alors que ces sujets ne seraient plus que vestiges d'un temps passé.

Pouvait-on donc dire de Robert qu'il était à la page? Oui, mais à la page précédente et à la page suivante d'un livre dont la fin mène inlassablement au début, encore et encore.

Oui, Robert était «off». Souvent. Mais il savait bien qu'un jour, on dirait que «off is the new on». Du moins, il l'espérait.

vendredi 29 octobre 2010

Robert dans le jardin

Robert aimait beaucoup le gazon, mais les cailloux, plus encore.

Robert était un grand amoureux de la nature.

Ah, oui: Robert aimait aussi énormément un jardin éclairé de lumières encastrées dans le sol et bordé de bornes de béton.

Robert, en fait, aimait la nature, mais vraiment bien contenue.

jeudi 28 octobre 2010

mercredi 27 octobre 2010

Robert à l'aéroport

Robert adorait voyager, mais trouvait, vraiment, que l'étape la plus pénible était celle se déroulant à l'aéroport.

Le pire, à l'aéroport, pour Robert, ce n'était pas l'attente. Non. Il aimait bien, même, être forcé à rester assis sans activité. Il trouvait que c'était une excellente façon de commencer un voyage, en fait. C'était un luxe qu'il n'osait jamais s'offrir à moins d'y être obligé. Ce n'était pas non plus le rituel répétitif lié aux fouilles, aux questions, aux douanes, aux secondes fouilles, aux souliers enlevés (ce moment était en fait un de ses favoris - quel joie d'être en chaussettes dans un endroit public!), aux files d'attentes, aux vérifications de bagages, aux troisièmes fouilles... Ce rituel, en fait, il s'en accommodait très bien. S'il avait été responsable d'un aéroport, il aurait sans doute imposé lui aussi un rituel, avec des files, des lignes jaunes et des agents en uniformes. Enfin, un endroit faisait preuve d'un peu d'organisation!

Non. Ce qu'il n'aimait vraiment pas de l'aéroport, c'était la piètre qualité du design.

Les fauteuils à motifs (afin de camoufler les éventuelles fuites urinaires ou autres accidents salissants), les tapis horribles, les plafonds mal recouverts de matériaux de bas étages, l'éclairage impardonnable, les boutiques clinquantes, les fenêtres immenses donnant presque exclusivement sur des vues insignifiantes, les machines distributrices désuètes, les panneaux d'affichage sans originalité: il ne pouvait en supporter la vue. «Pourquoi un lieu relié à une activité si excitante nous baigne-t-il dans cette atmosphère si morne?», se disait-il. En effet, pourquoi tant de violence visuelle?

Mais il y avait pire. Lorsqu'un supposé designer avait créé une quelconque oeuvre ou quelque accessoire stylé, à chaque fois, c'était un échec. C'était kitsch. C'était démodé. Ça avait été pensé pour plaire à un maximum de gens. Bref, c'était raté. «Il n'y a rien de pire que la laideur d'une chose qui a été conçue pour être belle, mais qui n'arrive qu'à faire grimacer», pensait-il.

Pourtant, quelques fois par année, Robert voyageait. Il subissait ces lieux, faisant preuve de degrés variés d'horreur (selon les pays) et attendait.

Il lui restait toujours l'option de se fermer les yeux.

mardi 26 octobre 2010

Robert dans la rue

Robert, après avoir mangé un souper un peu trop riche, voulut prendre un peu d'air. Il descendit dans la rue et se mit à marcher. D'abord, il marcha paisiblement, respirant l'air humide de cette soirée d'octobre. Il regardait au loin; nulle part, en fait.

C'est alors que son regard se précisa. Il se mit à regarder la ville autour de lui. Plutôt: il se mit à observer chaque détail, séparément. Tous ces éléments composaient donc cette ville qu'il habitait? Il les encadra mentalement, individuellement, les plaçant hors de leur contexte. Il vit une porte d'entrée à la peinture écaillée, une voiture rouillée, un mur de brique ébréché, des sacs de poubelles éventrés, une paroi couverte de graffitis, une boite électrique trop en évidence sur une façade, des ordures mêlées aux feuilles mortes, un écriteau nous avertissant qu'«ICI, VOUS SEREZ REMORQUEZ DANS 10 MINUTES» de ses belles lettres non pas tracées à la main mais imprimées. Et tant d'autres choses. Il considéra chacun de ces petits tableaux et, franchement, les trouva laids.

«C'est affreux, Montréal, ça n'a pas d'allure!», pensa-t-il.

Il baissa son regard, afin d'éviter ces portraits hideux. Mais au sol, c'était pire. «Je ne peux pas croire qu'en 2010, on n'ait pas encore trouvé de matières plus résistantes, plus dignes de nous», se dit-il, presque en colère. En effet, partout, le sol était lézardé, fendillé. L'asphalte des rues, c'était une vraie honte. Les trottoirs n'affichaient pas meilleure mine. Il marcha d'un pas plus prudent, tentant d'éviter de mettre les pieds sur les nombreuses fissures. N'y avait-il pas des solutions à ce grave problème?

Il en trouva. Les rues se devaient-elles réellement d'être pavées d'asphalte et les trottoirs de ce ciment de mauvaise qualité? Tant de matières existaient pourtant et remplaceraient avantageusement ces matériaux fragiles et quasi préhistoriques! Il se mit à imaginer de belles rues neuves et droites, pavées de granit noir, d'aluminium brossé, de plastique. De beaux trottoirs bien lisses en silicone, en acier inoxydable, en Tupperware... Mais il revint vite à la réalité.

«Pourquoi tant d'horreur dans notre monde!?», hurla-t-il.

Une vieille dame se promenant avec son chien (un Jack Russel) le dévisagea. Elle portait un foulard froissé autour de son maigre cou, tout plissé. Son visage ridé était pareil aux rues: une preuve vivante que le corps humain n'était pas fabriqué des matières idéales.

«Pourquoi?», Robert se demanda-t-il.

Pourquoi?

lundi 25 octobre 2010

Le désordre des transitions

Mon tiroir à épices souffre. L'ordre alphabétique s'est détérioré. Le cumin a perdu son voisin curcuma, rendu je ne sais où. Et je ne m'en plains pas.

C'est fou, hein, mais sans une pratique constante, on n'arrive plus à se plaindre de tiroirs mal classés ou des forêts remplies d'arbres pas foutus d'être tous de la même hauteur. On perd la main. Depuis quelques temps, je m'inquiète. Ça m'inquiète de moins en moins quand mes t-shirts ne forment pas une pile régulière dans un camaïeu décroissant. Dans mon portefeuille, je pense que j'ai un 20$ pas du bon bord. Il y a plein de fils de branchement entremêlés sur ma table de travail en ce moment et, pourtant, j'arrive à écrire. Scary.

Tous ces jours passés à raconter la vie des autres, de tous ces personnages imaginaires, est-ce que ça m'aurait éloigné de mes grandes préoccupations? Oui, il m'était déjà arrivé de passer du côté sombre, sciemment, et d'expérimenter avec des assiettes dépareillées, juste pour voir. Mais là, on dirait que j'ai carrément perdu le contrôle. Et perdre le contrôle, ça, c'est vraiment épeurant.

Je me dis: «Du calme, Robert, c'est l'automne. La saison où tout se détériore. Tu es normal.» Mais je ne suis rassuré qu'à moitié. L'automne, c'est aussi la saison où tous ces verts criards disparaissent, afin de peindre un paysage plus monochrome, juste pour nous. Oui, il y a cette période de transition, où jaunes, rouges et orangés nous aveuglent, mais on sait que c'est pour notre bien et que tout deviendra gris. Nos yeux pourront se reposer, quelle chance.

Est-ce à dire que je suis moi-même dans une période de transition? Tupperwareblog est né un soir de novembre, après tout. Je devrais donc retrouver mes sens et recommencer à être irrité par les anses de tasses ne pointant pas toutes dans la même direction ou les objets disposés en diagonale sans raison. Bientôt, peut-être? Je l'espère.

C'est à suivre.

dimanche 24 octobre 2010

État second

Des fois, je me dis que je devrais prendre de la drogue. Je regardais, hier, le film The Wall (un film d'Alan Parker inspiré de l'univers de de Pink Floyd) et j'ai été vraiment impressionné par la créativité contenue dans ce film. Je me suis demandé si c'était possible de créer des oeuvres aussi déjantées sans être sous l'effet d'une substance quelconque. Surtout, je me suis trouvé, mais alors, d'un convenu!!!

Convenu et contenu, ça va peut-être ensemble?

Attention: je ne pense pas que la drogue soit nécessaire à la création, mais disons qu'on dirait que ça aide à faire tomber certains murs. The Wall fait tomber des murs (contrairement à cette phrase qui est d'une plate évidence). Ce film splashe partout. Ça dégringole! Ça flye! Ça se fout complètement de ressembler à un petit objet bien propre qu'on peut mettre dans une belle petite boîte. Et c'est bon parce que ça va dans tous les sens.

Moi, que voulez-vous, j'aime plutôt ça, les murs. Ça donne un peu d'intimité, un mur. On peut peindre ça, un mur. On peut mettre de la tuile dessus. Une belle tuile noire, par exemple. Ça donne beaucoup de cachet à une pièce, ça, un mur de tuiles noires. Oui, oui. Avec un mobilier aux lignes épurées, c'est du plus bel effet. Tout est une question d'éclairage. Vous vous demanderez: «Oui, Robert, mais dois-je opter pour l'halogène ou l'incandescent?» et je vous répondrai que tout est une question d'ambiance. Rappelons-nous tout de même qu'avec certains choix, on ne se trompe pas. Jamais, je le répète: jamais, je ne regretterai ma literie blanche. C'est universel, une literie blanche. Comme des électroménagers en inox.

Mais moi, je n'arrive pas à aller dans tous les sens.

Je me suis demandé si ça pouvait se faker, ça, cette euphorie psychédélique propre aux drogués de ce monde. Ensuite, je me suis demandé si les créateurs de cette oeuvre avaient réellement tous été sous l'influence de je ne sais même pas quoi, ou si ça ne prenait des petits moments de lucidité pour arriver à concocter un travail artistique. Oui, il y a bien eu une personne qui a dit: «Et là, les marteaux vont se mettre à marcher comme des militaires pendant que la fleur se transforme en vagin jusqu'à ce que les enfants masqués tombent dans le moulin à viande géant pour ressortir en steak haché...», mais il y a aussi eu des dessinateurs qui devaient être en mesure de tracer des lignes droites, des cameramen capables de tenir une caméra sans trembler et des techniciens de son qui branchent les fils aux bons endroits sur la console et non dans le derrière des lapins roses qu'ils sont en train d'halluciner.

Où je veux en venir avec tout ça? Tiens, et si pour une fois, je n'allais nulle part? Si je me laissais flyer bien comme il faut? Wou-ou-ou!!!...

Bon. Ça suffit. Je suis peut-être convenu, je me sens mieux au moins un peu contenu.

samedi 23 octobre 2010

Alors...

Alors, j'ai fait le lit. J'ai replacé la couette bien au fond de sa housse. J'ai plié les serviettes blanches, les linges à vaisselle. J'ai vidé le lave-vaisselle, en replaçant toute la vaisselle comme il faut. J'ai rempli le lave-vaisselle à nouveau, des morceaux qui patientaient dans l'évier. J'ai vidé la poubelle de la cuisine dans la poubelle extérieure. J'ai remplacé le sac. J'ai replacé un verre à vin avec les autres, en réaménageant tous les verres afin que ce soit pratique, afin que ce soit beau. Il y avait sur la tablette des verres une petite bouteille de tequila. Je l'ai déposée par terre. J'ai regardé la tablette du bas, où se trouvaient toutes les autres bouteilles d'alcool. J'ai tenté d'insérer la bouteille de tequila sur cette tablette. Trop de bouteilles. Pas de place. J'ai pensé que si je sortais toutes les bouteilles et que je recommençais, j'y arriverais, peut-être. J'ai créé des sections. Les bouteilles de rhum ensemble. Celles de Whisky ensemble. Les vodkas. Les liqueurs. Les inclassables, bien classées, ensemble. J'ai essayé de placer la bouteille de tequila, mais elle était trop coincée. La porte ne fermait plus. J'ai recommencé. Plusieurs fois. Peu importe comment je divisais les sections, il n'y avait jamais de place pour la bouteille de tequila. J'ai alors enfreint ma règle des sections, pour voir. La vodka russe s'est retrouvée à l'opposé de la vodka polonaise. Je n'ai pas aimé ça. Mais il fallait que cette bouteille de tequila trouve sa place. Ça n'a rien donné. Pas plus de place. Trop de bouteilles aux formes trop variées. J'ai séparé les bouteilles en les classant par forme. J'ai replacé les bouteilles de la plus grosse à la plus petite, en calculant combien les bouteilles carrées pouvaient se disposer dans un quadrillé imaginaire et combien les rondes pouvaient former un différent type de quadrillé, en quinconce. Je me suis surpris à aimer les bouteilles ovales, super obéissantes, faciles à glisser dans les endroits libres. Mais toujours pas de place pour la bouteille de tequila. Satanée tequila. Une bouteille presque vide. Alors, j'ai ouvert la bouteille et j'ai bu la tequila, d'un trait. Dehors, la lune était belle. Pleine ou presque. Autour, un halo blanc, parfaitement rond.

vendredi 22 octobre 2010

Moi (qui?)

Je vous ai manqué? C'est moi, Robert. Celui qui écrit le blogue. Celui qui chiale tout le temps à cause d'un napperon mal enligné. Vous vous souvenez?

Je m'étais donné un défi: explorer, pendant quatre semaines, des personnages. Maintenant, prenons une petite pause de ces fictions et attardons-nous à nos préoccupations habituelles. En fait, je crois qu'il est temps de revenir aux sources et faire un peu de classement. Ça commençait à faire désordre, tout ce monde mélangé dans Tupperwareblog.

Nous pourrions classer tous ces personnages! Par sexe, d'abord? Ce serait une façon de s'y prendre. Bien sûr, ce classement serait inutile, simpliste et un brin sexiste.

Voyons voir... On pourrait classer tous ces personnages par âge, du plus jeune au plus vieux. Mais pourquoi, au fond? Que ferait-on des personnages dont l'âge n'est pas déterminé? Qu'adviendrait-il des personnages vivant à une autre époque? Des chiens? Du chat?

Il serait plus pertinent de faire un tableau qui catégoriserait les personnages selon leur degré d'importance. Mais comment juger de l'importance de tout ce beau monde? Un personnage peut avoir paru important pour une personne et moins pour une autre. Un personnage secondaire peut avoir volé la vedette à un principal. Un simple figurant, même, compte peut-être bien plus que tous les autres; on ne peut pas savoir, on n'a pas eu l'occasion de le connaître.

Compartimentons donc par ville d'origine. C'est sensé, non? Il y eut Montréal, Québec, Mont-Laurier, Shanghai... Mais aussi «la Suède», «l'Argentine» et tant d'autres lieux qui ne sont pas des villes. Que dire de la station spatiale?

Soyons plus créatifs. Catégorisons binairement en «loosers» et en «winners». À bien y penser, beaucoup pourraient appartenir aux deux clans. Ça risquerait de faire beaucoup de «loosers», aussi. Allons-y donc par couleur de cheveux. Mais combien de données nous sont inconnues pour arriver à des catégories claires (et où placer les éventuels chauves ou ceux avec des mèches ou même un subtil balayage)? Et si on divisait en trois, ce chiffre magique: les beaux, les laids, les ordinaires? Non, non. C'est trop subjectif.

Alors...

Par degré de niveau de langue? Par orientation sexuelle? Par coût total des vêtements? Par nombre de liens entre les autres personnages? Par pointure de souliers? Par nombre de lettres dans leurs noms? Par poids de leurs valises pour un voyage d'une semaine dans un tout-inclus à Punta Cana? Par niveaux de désir de réussir une crêpe parfaitement ronde? Par qualité des chansons hypothétiques composées en transposant en notes de musique toutes les lettres ayant servies à les décrire? Par capacité à raconter l'intrigue du téléroman Virginie, à l'envers, sans avoir vu plus d'un épisode par semaine pendant une année? Par possibilité qu'un jour, ils deviennent accrocs à la relecture des aventures de Harry Potter une fois que ces livres seront tombés dans l'oubli? Par mérite général en tenant compte d'une série de facteurs trouvés au hasard en découpant un million de petites annonces dans la section «Rencontres» des dix journaux les plus mal écrits selon un comité formé d'un nombre équivalent aux chances de voir une aurore boréale au Manitoba en novembre de personnes ayant tenté d'arrêter de manger des mauvais gras en excluant toutes fringales spontanées entre 1h00 et 3h30 du matin dans le fuseau horaire incluant toute la Chine et dans tous les autres fuseaux dont le UTC+X fait correspondre X à une quantité plausible de planètes semblables à la Terre mais introuvables dans toutes les galaxies connues par l'être humain moderne?

Alors, je vous ai manqué?

jeudi 21 octobre 2010

Weiwei (rôles secondaires)

Weiwei? Mais qui était Weiwei?

Weiwei, c'était Weiwei Zhang, un ouvrier chinois. Ce fut le premier à avoir donné un coup de pelle mécanique sur la maison de Pan Yu, cette femme morte sous les décombres de son Hutong en plein coeur de Shanghai, soeur de Jie (qui signifie «propreté») qui se fit appeler Jina (qui signifie «victoire») après avoir émigré vers les États-Unis, à New York et dont l'arrière-arrière-arrière-arrière-arrière-arrière petit fils était Akio, un homme vivant au 24e siècle sur une station spatiale en orbite autour d'une planète Terre ne comportant plus aucun habitant permanent, du moins officiellement.

Weiwei (qui signifie «puissance») aurait rêvé d'une vie meilleure en Amérique, lui aussi. Malheureusement, ce n'est pas ce qui lui arriva. Il faut dire que, pour un Chinois ordinaire et sans argent, quitter la Chine n'était pas une option facile. Weiwei était réaliste. Trop, peut-être. Ses rêves, il les tuait dans l'oeuf en se disant des choses comme «ce sera trop difficile», «je n'y arriverai jamais» ou «à quoi bon?»...

Peut-être était-il trop habitué à détruire et pas assez à construire? Avec sa pelle mécanique, il n'était jamais appelé à bâtir quoi que ce soit, mais plutôt à tout réduire en poussière. Le rêve, ce n'était pas la réalité. Sa grand-mère, une vieille dame originaire de Xian qui l'avait élevé suite au suicide des deux parents de Weiwei (qui se nommait à cette époque Gen, qui signifie «racines») lui avait souvent répété qu'il n'était pas bon de vivre dans un monde de rêve. Il fallait travailler, accepter son destin.

Weiwei ne voulut pas croire sa vieille grand-mère. Il partit pour Shanghai, changea de nom et tenta d'apprendre l'anglais. Mais Shanghai ne s'avéra pas le paradis où il s'était imaginé faire fortune. De plus, comme il était maigre et frêle, son nouveau nom fut la source de beaucoup de moqueries. Pire: il n'arriva jamais à prononcer bien plus que «Hello, how are you? My name is Weiwei.» En moins de trois mois après sa tentative de changer de vie, il devint un simple travailleur chinois, pauvre et désillusionné.

Peut-être par esprit de vengeance, à chaque coup de pelle mécanique, il prenait un certain plaisir à démolir ce qui se trouvait devant lui. Parfois, assis aux commandes de son camion, il fermait les yeux et se laissait aller à un rire démoniaque. Pendant un instant, il se sentait puissant. Il se sentait «Weiwei». À la fin de ses journées, il regardait le fruit de son travail: un vide, une désolation. Il savait que le lendemain, une nouvelle équipe arriverait, afin de créer quelque chose de neuf. Il savait surtout que là n'était pas son rôle et que ça ne le serait jamais.

Quand il tentait de ressentir un peu de fierté face à son rôle secondaire, jamais, jamais, il n'y arrivait.

mercredi 20 octobre 2010

Lynda (rôles secondaires)

Lynda? Mais qui était Lynda?

Lynda, c'était la mère de James. James, c'était ce petit garçon maladroit, un peu grassouillet, qui prenait de cours de karaté donnés par Gaétane, cette professeure d'éducation physique dans une école primaire où travaillait également Jean, celui qui cherchait son plat à fondue et qui finit par tuer son chat Chopin, qui était jaloux de la vie de chien de Shadow, chien renifleur de renom dont le maître-chien était très fier. Lynda aimait son fils plus que tout au monde. Elle l'adorait, même. Mais elle était inquiète.

Son apparence physique, sa lenteur, ses mauvaises notes et maintenant, ce nouvel ami, Félix, dont James ne cessait de parler: tout ceci inquiétait ferme le coeur de mère protectrice que possédait Lynda. C'était rendu insupportable. «Félix, par ci. Félix, par là. Félix, Félix, Félix...»; James semblait obsédé. Que pouvait avoir de si extraordinaire cet enfant, au juste? Et s'il était aussi fantastique que le répétait James, pourquoi diable était-il devenu l'ami de ce dernier?

C'est vrai, pensait-elle, qu'est-ce qu'un petit garçon sportif, brillant et populaire pouvait-il bien vouloir à son fils? Voulait-il profiter de lui? Se moquer? Lui faire croire à une amitié improbable, puis le laisser tomber? Elle avait beaucoup d'amour pour son fils, mais elle devait se rendre à l'évidence: son fils ne méritait pas une amitié sincère avec un petit bonhomme aussi parfait. C'était terrible de penser ça, mais c'était pour protéger James qu'elle avait réfléchi à tout ça. Les enfants sont cruels, se répétait-elle. Et elle aurait tout fait pour éviter que son petit James ne souffre.

Elle voulut en parler à son mari. Ce dernier, trop préoccupé par son travail de directeur adjoint au marketing dans une firme de Québec, ne semblait avoir rien à dire sur le sujet. Il ne sut pas quoi dire. Pour se débarrasser de cette situation dont il n'avait que faire, il dit à Lynda: «Boys will be boys, honey. They probably just like to play together.»

«Play together»? Cette nuit-là, Lynda dut bien se répéter cette phrase des centaines de fois. Elle visualisa le petit Félix, si beau, si blond, si parfait. Elle eut soudain une image que seule une mère peut avoir: son fils, ce Félix, ensemble.

Ensemble.

Elle le savait. Il y avait quelque chose de louche avec cet enfant. Ses manières trop délicates, sa façon de s'exprimer, ses bonnes notes, son intérêt pour les sports de contact... Comment avait-elle pu ne pas voir l'évidence dès le début? Ce petit être était «différent» et il allait tenter de pervertir son pauvre James. Jamais elle n'aurait cru avoir à composer avec ce genre de problèmes avec des petits garçons en si bas âge. Elle eut un frisson d'horreur. Elle fixa le plafond de la chambre à coucher jusqu'au matin.

Avant qu'il ne quitte pour l'école, James trébucha dans l'escalier. À quatre pattes sur le sol, il se mit à pleurer. «Non, James, tu vas pas te mettre à brailler!», hurla Lynda, les yeux bouffis. Elle releva son fils en le tirant par le coude. «C'est pas comme ça qu'on t'a élevé! Qu'est-ce que penserait ton père?», poursuit-elle. James cessa de pleurnicher immédiatement. Il regarda sa mère avec un mélange de frayeur et d'étonnement, puis il cria: «You're hurting me! Don't touch me! I hate you! I hate you.»

Il fila vers l'école en courant.

Lynda fixa la boîte à lunch de son fils, oubliée sur la troisième marche de l'escalier. Elle observa ses motifs à fleurs, ses teintes de violet. À son tour, elle versa une larme. Elle songea à son rôle de mère. De mauvaise mère. Pendant un instant, elle détesta ce rôle, pas plus important qu'un rôle secondaire, qu'elle jouait dans la vie de son fils.

mardi 19 octobre 2010

Wendy (rôles secondaires)

Wendy? Mais qui était Wendy?

Wendy, c'était une jeune fille amochée par la vie, qui avait comme travailleuse sociale Julie. Julie, en plus de travailler auprès de jeunes de la rue comme Wendy ou Matthew, le fils d'un couple bourgeois du West-Island qui vivait maintenant avec sept colocataires dans un appartement minable, était aussi la fière maman du petit Jérémie, ce mignon et surprenant garçonnet de vingt mois et la tendre épouse de Jacques, vidéaste amateur, ingénieur et aspirant millionnaire.

La vie de Wendy, vraiment, avait été dure. Son profil ne laissait présager rien de bon pour son avenir. Et pourtant. Wendy, après plusieurs années de consultation auprès de Julie, puis, après le départ de cette dernière, auprès de Stéphane, finit par se sortir d'une voie qui semblait pourtant vouée à l'échec.

Tout semblait noir, à une certaine époque, pour Wendy, mais beaucoup de volonté de sa part et une bonne dose de hasard ont un jour jeté sur cette existence une lumière qui n'a pas fini de briller.

Wendy travaille maintenant auprès du metteur en scène le plus en vue de son époque, Hubert Lesage. Après avoir fait un atelier de théâtre pour les jeunes de la rue, Wendy a en effet présenté un petit spectacle pour une soirée bénéfice pour le ROLES, le Réseau des organismes de légitimation engagés socialement. Monsieur Lesage, président d'honneur, était présent et a tout de suite été touché par la sensibilité de cette jeune femme frêle mais résiliente. Son interprétation, dans ce numéro certes naïf, laissait présager un rare talent d'interprète. Ça tombait bien, Hubert Lesage était à la recherche d'une jeune actrice authentique pour la création de son nouveau spectacle multilingue de douze heures, intitulé One Way Streets, voué à une tournée internationale dans les plus grands théâtres du monde.

Après une audition où Wendy se sentit plus appréciée et plus maternée que jamais, qui dura plusieurs heures, la décision était prise. Wendy allait être parfaite pour rendre toute la profondeur du personnage. Pour Wendy, tout se passa comme dans un rêve. On lui trouva un appartement convenable, on la paya régulièrement, on l'encouragea sans la juger. Les répétitions, qui s'échelonnèrent sur plusieurs mois, furent pour elle une véritable thérapie. Le spectacle se créa en partant de qui elle était, de son passé, ses craintes, mais aussi ses talents et ses aspiration. Peu à peu, devint évident qu'elle allait non seulement jouer un rôle dans ce spectacle d'envergure, mais qu'elle allait en être le coeur. Elle se donna à fond dans cette création. Parfois, ce fut difficile. Il y eut beaucoup de larmes, mais, aussi, tellement d'amour de la part de toute l'équipe.

Sa vie, maintenant, s'est non pas transformée, mais s'est plutôt transférée en une oeuvre acclamée sur toute la planète. Debout, sur le sommet d'un dispositif scénique ingénieux composé de pancartes routières géantes toutes entrecroisées, elle a maintenant trouvé sa place. D'un rôle secondaire, Wendy est passé au premier rôle.

lundi 18 octobre 2010

Gilles (rôles secondaires)

Gilles? Mais qui était Gilles?

Gilles, c'était Gilles Gendron, le directeur de l'école, où se déroulaient les activités socioculturelles de Mont-Laurier. Vous savez, celui qui avait discuté avec Nancy, la technicienne de scène qui s'était moquée des avances de Claude, qui déménagea plus tard en Californie pour n'avoir qu'une petite aventure avec Stacy dont le mari alcoolique ne s'était jamais rendu compte de quoi que ce soit? Gilles, c'est aussi celui qui avait remis une enveloppe à Nancy. Dans l'enveloppe, d'ailleurs, se trouvait un banal chèque pour payer la représentation de Hop-la!. Personne, à part peut-être Claude, n'avait vraiment remarqué monsieur Gendron ce soir-là. Pierre, un des acrobates, était même passé devant notre directeur d'école sans entendre le «Bravo pour votre specta...» qu'il lui marmonna timidement.

Gilles, pour plusieurs, paraissait froid, mais c'était mal le connaître. Il s'agissait plutôt de tiédeur. Gilles aimait la pêche, la motoneige, les spectacles d'humoristes et les excellents repas que préparait Jocelyne, son épouse, mais n'exprimait pas ces passions autrement que par des phrases trop longues, trop compliquées, insignifiantes. C'était la même chose avec ce qu'il détestait. Quand il expliquait son dédain pour les tomates crues, l'opéra, le thé vert ou les voitures compactes, par exemple, on ne savait jamais vraiment si, au fond, il aimait ou non. Tout en maladroites nuances, il tentait de communiquer en ne soulevant jamais les passions.

Que disait-il, au juste? Était-il pour ou contre? Peu importe. La plupart du temps, les autres ne lui laissaient pas terminer ses phrases ou feignaient d'écouter en pensant à une tactique pour s'enfuir.

Même lui, parfois, n'avait plus envie de s'entendre. Parler ou penser. Alors, il s'imaginait passer de l'avant-plan de son existence à l'arrière-plan. Il devenait un simple figurant dans sa vie. Loin, flou, insipide, il se trouvait à son meilleur. Un rôle secondaire, c'était, pour lui, déjà trop.

dimanche 17 octobre 2010

Thomas (rôles secondaires)

Thomas? Mais qui était Thomas?

Thomas, c’était l’amant de Jean. Son seul amant, de toute sa vie. Jean, c’était le professeur de primaire : celui qui enviait le petit Félix, celui qui avait toujours manqué de confiance en lui-même, celui qui avait accidentellement tué son chat Chopin, en l’écrasant entre son soulier et un objet coupant renversé, celui qui n’avait pas réussi à accepter son orientation sexuelle avant plusieurs années de solitude, celui qui était devenu veuf avant même de s’habituer à la vie à deux.

Mais il n’est pas question ici de Jean, mais bien de Thomas.

Thomas avait été professeur, lui aussi. Il avait enseigné la musique pendant des années à des élèves du secondaire. Il avait formé une chorale. Il avait dirigé une harmonie. Il donnait des cours de piano, son instrument favori. Comme il savait bien s’occuper des autres, il était très populaire. Tout le monde l’aimait.

Il dégageait une aisance très particulière. Sa vie avait été un long parcours où toutes les épreuves avaient été évitées, une à une. Il voyait venir les coups. À la découverte de son homosexualité, dans les années 70, il s’était vite rendu compte que de se cacher n’était pas une option valable. S’affublant lui-même du sobriquet «la pédale douce», en référence à son instrument préféré, il avait vite désamorcé toute tentative d’attaque contre lui. Il faisait rire tout le monde. Personne n’aurait voulu s’en prendre à lui.

C’est peut-être ce qui attira Jean, un soir de février, dans un café de la rue Saint Jean, à Québec? Jean n’était pas du genre à aller vers les autres et Thomas le sentit. Il se leva donc et prit place juste à côté de celui qui allait tomber sous son charme au bout de quelques minutes à peine.

La différence d’âge importait peu, pour Thomas. Il était plus vieux, mais ne sentait aucun besoin de se justifier. L’année passée auprès de Jean, en compagnie de leur chat Chopin, avait été remplie de bonheur, d’un bonheur inébranlable. Thomas savait composer avec les angoisses de Jean, avec ses doutes et ses insécurités. Il en faisait un jeu. Il choyait tout dans sa vie et dans celle des autres : le meilleur comme le pire.

Son optimisme était tel que, le jour de sa mort, il eut même des paroles rassurantes pour tous ceux qui étaient venus à son chevet. Jean pleurait, pleurait, et Thomas lui disait : «Tout va bien aller, mon chaton, tout va bien aller.», comme si celui qui était en danger de mort, c’était celui assis sur la chaise droite et non celui couché dans le lit d’hôpital.

Au moment même de son décès, il laissa toute la place à l’autre. Ce n’était plus lui qui mourait, mais l’autre. Ce n’était pas lui qui tenait le rôle principal, mais l’autre. En fermant les yeux, il se contenta du rôle secondaire et s’éteint en souriant.

samedi 16 octobre 2010

Bill (rôles secondaires)

Bill? Mais qui était Bill?

Tout le monde, à Rockport en Californie, connaissait Bill. Bill, c'était le mari de Stacy, celle qui travaillait au restaurant avec Claude, cette femme originaire de Mont-Laurier qui avait cru bon déménager en Californie afin de refaire sa vie suite à l'humiliation engendrée par Nancy, cette technicienne de scène, qui s'était littéralement moquée des avances qu'avait faites Nancy et qui plus tard travailla auprès du grand metteur en scène Hubert Lesage et du baryton Serge Gendron, rendu célèbre par son interprétation surprenante de Bastien dans Bastien und Roberdt. C'est limpide, non?

En tous cas, rien n'était jamais limpide pour Bill. Cet homme, originaire de Cody, au Wyoming, avait bel et bien hérité de toutes les caractéristiques de son père. Comme lui, il était un peu niais, un peu violent et très, très penché vers la bouteille. Il passait sa vie dans une brume constante, en n'arrivant jamais à réellement comprendre ce qui lui arrivait.

Le soir où il rencontra Stacy, dans un bar, n'avait jamais fait partie de ses souvenirs. C'était un moment de noir total, pour lui. Trop ivre, il avait séduit Stacy par un mélange de force et de chance, lui avait-on raconté. Ce soir-là, cette dernière était triste, pleurait, assise au bar et il avait profité de ce moment de vulnérabilité. C'est dans son camion qu'ils avaient fait l'amour et neuf mois plus tard, naissait leur premier enfant, Johnny Frank.

Ils vivaient maintenant dans une petite maison, avec leurs trois enfants et Martha, la mère Stacy, qui souffrait de démence avancée. Bill travaillait pour un architecte paysagiste, qui lui faisait confiance malgré ses retards fréquents et ses absences répétées. C'est que le travail physique ne lui faisait pas peur. Plus c'était dur, plus il s'y plaisait, même. Tondre le gazon sur des terrains immenses, transporter de multiples chargement de gravier ou creuser des trous profonds, c'était pour lui une façon de ne plus penser à rien. Les douleurs de sa musculature arrivaient à enterrer la vraie douleur que lui procurait tout acte de réflexion. Quand il tentait de réfléchir, tous s'embrouillait, tout tournait. Alors, il prenait une bière, puis une autre, puis une autre, jusqu'à ce que son cerveau s'endorme.

Il était dépassé par toute sa vie. Comment avait-il pu en arriver où il était? Ses trois enfants étaient de vrais étrangers, pour lui. Il ne se souvenait pas avoir invité ces petits êtres dans sa maison et encore moins cette vieille folle de Martha. À tous les soirs, en se couchant, il avait même cette vague impression de côtoyer une femme qu'il n'avait jamais vraiment choisi. Pourquoi sa vie était-elle comme elle l'était? «I got no clue. I'm fucking clueless!», avait-il l'habitude de dire.

Il ne semblait avoir aucune conscience de tant de détails de son existence. Il ne paraissait même pas voir certaines évidences: que ses enfants ne l'aimaient pas, que son patron ne le respectait pas, que Claude était lesbienne, que Stacy avait eu une aventure avec elle. Était-ce que son esprit souffrait d'être trop vide ou trop plein?

Il observait parfois Martha, assise à la fenêtre, immobile, le regard vide. Arriverait-il un jour à atteindre ce stade d'inconscience? Il l'espérait. Il enviait cette vieille femme, à qui on ne demandait jamais rien. Pas même d'exister.

Après tout, jamais il n'avait demandé à quiconque de compter. Il ne voulait d'aucun rôle, au fond. Pas même d'un rôle secondaire dans la vie des autres.