jeudi 28 janvier 2010

Le mensonge de l'ordre

J'ai encore trié mes vêtements. J'aime ça, trier mes vêtements. J'en profite pour jeter (ou donner aux pauvres) tout ce que je n'ai pas porté depuis six mois, environ. Je place mes chemises, mes chandails, mes bas, mes sous-vêtements, mes pantalons et mes shorts en ordre chromatique, malgré toutes les difficultés que cela peut entraîner. Ça semble simple, mais non. Il arrive toujours un morceau qui vient perturber la logique. Les bas, les sous-vêtements, je l'avoue, c'est plus facile (je possède surtout du blanc, du gris et du noir). Les pantalons et les shorts, c'est à peine plus compliqué (il suffit d'insérer stratégiquement les motifs camouflage, tenir compte du degré d'usure des jeans, et voilà!). Les problèmes occasionnés par les chandails sont surmontables (il y a deux piles distinctes: la pile «autonome» et la pile «à porter sous une chemise»). Mais les chemises, elles, me donnent du fil à retordre.

D'un côté, à gauche, il y a les chemises blanches. À l'autre extrême, les noires (de la plus chic à la plus «casual»). Directement à la gauche des noires, se placent facilement les grises. Seulement, parfois, il y a des motifs qui viennent tout bousiller. La chemise grise à fines rayures rouges doit-elle se trouver après les grises, ou insérée entre elles selon le gris du fond? Est-ce que je dois plutôt me fier à la tonalité générale de la chemise? Dilemme. Du gris, on passe au bleu. Les bleus se classent plutôt bien, du marine au bleu clair, mais qui dit bleu, dit carreaux. En effet, plusieurs chemises affichent des carreaux difficiles à classer. Les mettre tous ensemble paraît logique, mais il y a toujours une vision d'ensemble à respecter et certains carreaux sont si forts qu'ils sont plutôt propices à terminer la section des bleues, pour mener à la couleur suivante en fonction de la dominante du carreau. La plupart du temps, c'est vers le vert que ça mène, mais c'est boiteux. Les verts, quelle plaie! J'ai même imaginé me débarrasser de toutes mes chemises vertes tant elles sont difficiles à placer en camaïeux décroissant. J'ai toujours cru que le vert, c'était la couleur qui permet à l'oeil humain de distinguer le plus de nuances. Ceci amène plusieurs dilemmes. Le vert kaki mène au brun, qui est plus foncé, et qui devrait donc se retrouver à droite du vert, mais le vert le plus foncé, donc, le plus à droite, n'est pas le vert kaki. C'est le vert forêt. Or, quel vert placer où? Les verts bleutés devraient peut-être avoir la priorité, mais quand on tombe dans les tons plus clairs, rien ne va plus. Le mieux est-il de privilégier une transition vers le jaune? Qu'adviendra-t-il des rouges, dans ce cas? Ils se retrouveront à gauche des jaunes? Quelle mauvaise transition vers les beiges (qui mènent au blanc)! Les motifs, parfois présents, viennent complexifier le casse-tête. J'ai une chemise mauve. Très belle, achetée à South Beach. Dans une boutique tenue par une cocaïnomane saoule qui m'a fait boire des shooters de vodka afin que je n'ose pas juger ses prix exorbitants. Cette chemise ne va nulle part dans la gamme. Près du rouge, elle est à son meilleur, mais nuit à la transition vers le beige. Parmi les bleus, ce mauve ressort comme une tache insupportable. J'ai une chemise grise qui va très bien juste à sa droite, mais je n'ose pas imaginer les pirouettes nécessaires à l'intégration de cet accouplement. Je vous épargne le grave problème des chemises sans dominante précise (je les appelle «les bipolaires»). Il n'y a jamais de solution idéale. Je fais avec. J'intègre certains motifs pour truquer l'oeil. Je classe les beiges (c'est une tâche plus facile qui me calme). Je place les chemises blanches, de la moins blanche à la plus immaculée.

Alors, je me recule, je plisse les yeux (pour éliminer les détails) et je me dis: «Ça va. Tout semble bien classé.»

Mensonge. C'est difficile, se mentir à soi-même. Je sais bien que je me dis ces mots uniquement afin de fermer la porte du garde-robe, pour passer à autre chose, pour vivre ma vie.

Une vie de mensonges.

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