jeudi 7 janvier 2010

Fiction minimaliste, 2e partie

Robert est sur son canapé, MacBook sur les genoux. Il tape quelques lettres, parfois quelques mots, puis appuie sur la touche d'effacement. Ça fait plusieurs minutes qu'il est devant son écran (super plat, à la luminosité qui s'ajuste automatiquement à l'éclairage ambiant) et, entre ses sourcils, des plis de doute se creusent de plus en plus. Il regarde, pour la dixième fois en trop peu de temps, ses courriels. Rien de neuf. Il va sur eBay, tape «Tupperware vintage» dans l'engin de recherche. La recherche mène à 694 résultats. L'article le plus cher coûte 718,87. Il agrandit la photo, la sauvegarde. Un message instantané apparaît à son écran:

-BUSY?

Robert tape:

-Yes, why?

-WANNA FUCK?

-Who are you?

-SAW YOUR PROFILE ON «MANDUDE»

-Oh.

-WHAT R U INTO?

-Do you have pics?

-SURE

-Send ne one.

-OK

-Me, I meant «me», not «ne»...

-K

-I'm guessing this means that you don't really care about spelling, right?

Robert regarde l'écran. Il attend. Il court vers la salle de bain pour uriner. Il revient rapidement, sans tirer la chasse d'eau. Il tape:

-Hey, are you there?

Il attend. Il va vers la cuisine, se verse un grand verre de jus de litchi, ajoute deux glaçons, sort une lime, la lave soigneusement, mais pas aussi soigneusement que l'aurait fait sa mère, en coupe une tranche qu'il entaille et place sur le rebord de son verre. Il fait quelques pas vers son MacBook, mais revient, ouvre le congélateur à nouveau et ajoute trois glaçons à son verre. Il regagne sa place sur le canapé. Il tape:

-You there? (mais il efface aussitôt et corrige:) U there?

-SENT U MY PIC

Une photo floue apparaît à l'écran. On dirait la lune dans un télescope pas au foyer. Robert ferme le clapet de son MacBook, allume la télé. À LCN, on annonce que les jouets pour enfants et les livres ne font pas partie de la nouvelle liste des objets non admis à bord d'un avion. La double négation rend Robert confus. Il s'imagine un hochet rempli d'explosifs activé à distance par un roman Harlequin. Il se sent soulagé que personne, vraiment personne, n'a accès à tout ce qui se passe dans son cerveau.

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