Thomas? Mais qui était Thomas?
Thomas, c’était l’amant de Jean. Son seul amant, de toute sa vie. Jean, c’était le professeur de primaire : celui qui enviait le petit Félix, celui qui avait toujours manqué de confiance en lui-même, celui qui avait accidentellement tué son chat Chopin, en l’écrasant entre son soulier et un objet coupant renversé, celui qui n’avait pas réussi à accepter son orientation sexuelle avant plusieurs années de solitude, celui qui était devenu veuf avant même de s’habituer à la vie à deux.
Mais il n’est pas question ici de Jean, mais bien de Thomas.
Thomas avait été professeur, lui aussi. Il avait enseigné la musique pendant des années à des élèves du secondaire. Il avait formé une chorale. Il avait dirigé une harmonie. Il donnait des cours de piano, son instrument favori. Comme il savait bien s’occuper des autres, il était très populaire. Tout le monde l’aimait.
Il dégageait une aisance très particulière. Sa vie avait été un long parcours où toutes les épreuves avaient été évitées, une à une. Il voyait venir les coups. À la découverte de son homosexualité, dans les années 70, il s’était vite rendu compte que de se cacher n’était pas une option valable. S’affublant lui-même du sobriquet «la pédale douce», en référence à son instrument préféré, il avait vite désamorcé toute tentative d’attaque contre lui. Il faisait rire tout le monde. Personne n’aurait voulu s’en prendre à lui.
C’est peut-être ce qui attira Jean, un soir de février, dans un café de la rue Saint Jean, à Québec? Jean n’était pas du genre à aller vers les autres et Thomas le sentit. Il se leva donc et prit place juste à côté de celui qui allait tomber sous son charme au bout de quelques minutes à peine.
La différence d’âge importait peu, pour Thomas. Il était plus vieux, mais ne sentait aucun besoin de se justifier. L’année passée auprès de Jean, en compagnie de leur chat Chopin, avait été remplie de bonheur, d’un bonheur inébranlable. Thomas savait composer avec les angoisses de Jean, avec ses doutes et ses insécurités. Il en faisait un jeu. Il choyait tout dans sa vie et dans celle des autres : le meilleur comme le pire.
Son optimisme était tel que, le jour de sa mort, il eut même des paroles rassurantes pour tous ceux qui étaient venus à son chevet. Jean pleurait, pleurait, et Thomas lui disait : «Tout va bien aller, mon chaton, tout va bien aller.», comme si celui qui était en danger de mort, c’était celui assis sur la chaise droite et non celui couché dans le lit d’hôpital.
Au moment même de son décès, il laissa toute la place à l’autre. Ce n’était plus lui qui mourait, mais l’autre. Ce n’était pas lui qui tenait le rôle principal, mais l’autre. En fermant les yeux, il se contenta du rôle secondaire et s’éteint en souriant.
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