Il avait pensé à ce moment-là souvent et ce, depuis fort longtemps. «Un jour, je vais tout jeter. Tout. Toute cette matière autour de moi sera évacuée de mon univers et je pourrai recommencer à zéro.», se disait-il périodiquement. Il est vrai que le rangement, ce n'était pas son truc. Bien sûr, tous ses amis auraient cru le contraire, mais ils se trompaient. Non, Robert n'aimait pas classer ses possessions. Pour lui, c'était un passage obligé, une tâche incontournable afin de connaître un jour son idéal de pureté. Mais ses expériences répétées ne lui avaient que confirmé ce dont il se doutait depuis tant d'années, mais qu'il se refusait à accepter: sa quête était impossible.
Vivre dans son monde de rêve, où rien ne dépasse, rien n'est de trop, rien ne semble pas à sa place, avec tous ces objets accumulés pendant toute sa vie, ça n'avait aucun sens. Il resterait toujours quelque objet souvenir pour défaire le tableau. Par exemple, une collection d'articles de cuisine, au fil des années, subit tant d'embûches: des lignes de produits qui changent de look, des compagnies qui font faillite, des objets qui s'usent inégalement, des choses perdues, ébréchées, oubliées, retrouvées... Il n'y avait qu'une seule façon d'atteindre cette perfection qu'il recherchait tant. Il fallait tout jeter, sans exception, et recommencer.
Quel plaisir avait-il à bourrer des sacs à ordures gigantesques de toutes ses possessions! C'était une vraie fête. Tout y passa. Articles de cuisine, outils de jardinage, photos, livres, serviettes, draps... Tout. Ses meubles furent descendus un à un sur le trottoir, où ils passèrent de courtes minutes avant d'être ramassés par quelque passant. Les électroménagers disparurent encore plus rapidement. Les gros objets, parfois, furent lancés par les fenêtres, directement dans un gros container qu'il avait loué pour cette journée spéciale. Au bout d'une dizaine d'heures, il ne restait presque plus rien. Les sacs furent déposés dans le container et les tout derniers vestiges de sa vie furent mis dans des boîtes qui subirent le même sort. Il ne restait plus rien. Pas même les vêtements qu'il portait, qu'il avait pourtant bien lavés et repassés, la veille, pour cette grande occasion. Rien.
Robert regarda autour de lui en poussant un soupir de satisfaction. Il regarda la grosse horloge Molson qu'il voyait de sa fenêtre. Il était minuit. Minuit juste. Ce détail lui fit plaisir. Il s'endormit en boule, comme un petit chat, sans aucune arrière-pensée. À vrai dire, sans aucune pensée du tout.
Le lendemain, il était prêt à recommencer, à tout racheter, mais tout en même temps cette fois-ci, d'un seul coup, sans faire d'erreur, sans fautes de goût, sans excès, sans embûches. Son bonheur était immense, pur. C'est alors que l'eau, brune et glaciale, monta, monta, monta...
Vue de l'espace, la Terre avait perdu ses couleurs de terre, son bleu, ses variations géologiques. Tout était lisse, comme une bille. Une petite bille brune qui tournait, tournait, autour du soleil, comme si de rien n'était.
Ouff Robert!
RépondreSupprimerT'en fumes du bon...
@marco: si au moins il en fumait, ça serait rassurant!!
RépondreSupprimerJ'imaginais ce Robert (nom fictif), qui est sans doute un autre Robert que le Robert auteur de notre blogue, je l'imaginais, donc, ayant jeté ses cartes de crédit et de débit dans son ménage et étant incapable de racheter quoi que ce soit...