lundi 4 octobre 2010

Jean (nom fictif)

Debout, au milieu de la cuisine, Jean regardait tout autour de lui avec impatience. Des casseroles, des ustensiles, des bols à mélanger, de la vaisselle, des plats Tupperware et tant d'autres objets rendaient la vue du plancher quasiment impossible. Il devait bien y en avoir jusqu'à ses mollets. Tout était mélangé. Mais où se trouvait donc ce plat à fondue au chocolat? Ça devait bien faire trois heures qu'il le cherchait.

Jean vivait seul dans un petit appartement design, à Lévis. De sa cuisine design, il voyait sa salle à manger design, son grand salon vitré design, le fleuve design et même un bout du Château Frontenac, presque design lorsque couvert de neige. C'est d'ailleurs en observant cette neige tomber qu'il eut l'idée de se faire une belle fondue au chocolat. La petite flamme, le chocolat visqueux et fumant, son chat Chopin bien blotti contre lui et quelques épisodes de Grey's Anatomy: tout cela allait le tenir bien au chaud. La soirée s'annonçait parfaite. Jusqu'à ce qu'il se mette à chercher son plat à fondue.

Il n'y avait pas beaucoup d'espace de rangement chez lui: à peine quelques armoires dans la cuisine et un seul grand placard pour tout le reste. Il était clair que son plat à fondue se retrouverait dans un de ces endroits.

Dans la cuisine, où il avait débuté ses recherches, il avait d'abord fouillé tranquillement. Son plat, il l'avait placé derrière son four à raclette. Il l'aurait juré. C'était logique: les articles de cuisine chauffants devaient tous se retrouver ensemble. Son système avait été prévu pour éviter d'avoir à égarer des objets. Mais lorsqu'il vit que son plat à fondue ne se trouvait pas dans le secteur approprié, il eut un moment de doute. Peut-être avait-il décidé qu'un plat à fondue ne méritait pas un espace dans la cuisine? Après tout, il ne s'en servait pour ainsi dire jamais.

Ça lui revint, d'un coup: il l'avait emballé dans du papier à bulles, puis rangé avec ses chandeliers de Noël, dans un bac de plastique sur la tablette du haut de son grand placard. La lueur des chandelles rouges et or, celle du petit brûleur du plat à fondue: il y avait là un thème qui ne trompait pas.

Dans le grand placard, il passa deux heures à tout vider, frénétiquement. Sa chambre avait l'air d'avoir été cambriolée. Mais nulle trace de son plat à fondue. Il hurla très fort: «Câlisse!», ce qui fit sursauter Chopin, puis retourna vers la cuisine.

«Il faut toujours retourner au premier endroit où l'on a cherché», se rappela-t-il, en respirant profondément pour se calmer. Il vida la tablette des articles chauffants. Pas de plat. Il pensa: «Suis-je bête, j'ai dû placer ce plat à fondue avec les coupes à dessert. C'est logique.», mais près des coupes à dessert, il n'y avait que des bols à mélanger, un ensemble de tasses à mesurer, une cloche à gâteaux et des plats Tupperware. Soudain, il fut pris d'un nouvel élan de rage. En quelques minutes à peine, tout le contenu de sa cuisine se retrouva par terre. Il allait trouver ce plat à fondue, coûte que coûte, comme si sa vie en dépendait.

C'était pourtant évident: ce plat n'était pas dans la cuisine, aussi étrange que cela puisse paraître. La logique ne fonctionnait plus, alors il allait changer de tactique. Il se mit à chercher partout dans l'appartement, dans les endroits les plus bizarres. Il retourna tous les coussins du canapé, il fouilla sous tous les meubles (même ceux qui n'avaient pas assez d'espace dessous pour ranger quoi que ce soit et encore moins un plat à fondue), défit ses draps, vérifia derrière la porte de la douche, dans la laveuse, dans la sécheuse, dans la pharmacie, dans l'urne funéraire de Thomas, dans les poches de tous ses vêtements, derrière les portes, sous les tapis. Son appartement, c'était devenu sa zone de guerre. Un vrai désastre. Il courait dans tous les sens, rouge de colère, en criant de plus en plus fort.

Un cri encore plus puissant le fit s'arrêter net. Il regarda sous son pied. Chopin. Écrasé entre la semelle de son soulier et un support design pour magazines design, renversé.

Toute la nuit, il pleura, de larmes chaudes qui coulaient sur le ventre refroidi de Chopin. «Pas logique. Pas logique. Pas logique...», qu'il se répétait sans cesse, pour éloigner de son esprit ce doute qui le hantait: peut-être n'en avait-il jamais eu, de plat à fondue?

3 commentaires:

  1. Il n'a pas regardé dans le frigo... peut-êtrey avait-il un restant de fondu au fromage dedans!

    Au fait, qui est Thomas? son ex ou bien son chat? Si c'est ce dernier, est-il mort dans les mêmes circonstances? Ce qui tend à prouver qu'il n'avait probablement pas de plat à fondu. Puisque qu'il aurait déjà eu, si c'est le cas, le même genre de crise auparavant. C'est qu'il doit s'imaginer qu'il a des choses qui au fond ne sont que le fruit de son imagination... C'est ça: il est mythomane!!! Je le savais! Nous sommes tous névrosé.

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  2. Ben là... on tue quand même pas un chat en marchant dessus!!! Même pas un chaton! Attend, voir, qu'un petit tyran félin vienne bouleverser l'existence de Robert!

    Pis un petit truc de désorganisé pour ceux qui cherchent trop le plat parfait pour la fondue au chocolat: n'importe quel plat suffit, on fait fondre le chocolat et on le mange assez vite pour éviter qu'il reprenne!!

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  3. Chopin était si frêle et Jean si gros...

    Merci pour le truc de désorganisé! (Mais qui veut manger de la fondue au chocolat rapidement?)

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