mardi 5 octobre 2010

Bastien (nom fictif)

Debout, au milieu de la cuisine, Bastien regardait tout autour de lui avec intensité. Des casseroles, des ustensiles, des bols à mélanger, de la vaisselle, des plats Tupperware et tant d'autres objets rendaient la vue du plancher quasiment impossible. Il devait bien y en avoir jusqu'à ses mollets. Tout était mélangé. Il s'avança, regardant au loin, l'air grave. Il ouvrit la bouche... Mais la musique s'arrêta. Et Bastien disparut.

À sa place, celui qui jouait son rôle, le baryton Serge Gagnon, retira son énorme chapeau et ses verres fumés. «Non. Ça ne va pas. Où suis-je? Quelle est mon intention? Je ne peux pas chanter ce rôle dans de telles conditions!», dit-il d'une voix aiguë, avec un accent européen plutôt bizarre pour un Gaspésien. «Il y a un problème, monsieur Gagnon?», répondit Hubert Lesage, un homme roux, assis au centre d'une salle de spectacle vide et sombre. C'était le metteur en scène.

«Je ne comprends pas. Pourquoi ce décor? L'argument spécifie que l'action se passe dans une plaine champêtre du 18e siècle et, autour de moi, il n'y a qu'un amas de vaisselle, de contenants et d'ustensiles dans une cuisine résolument moderne. Je n'y arrive pas. Je n'y crois pas.», ajouta le baryton. «C'est une transposition, monsieur Gagnon. Vous vous promenez à travers des Tupperware, mais ça représente votre incapacité à composer avec vos sentiments face à votre environnement. Ben, pas vous, là, mais votre personnage.», répondit le metteur en scène, d'un ton nasillard et désabusé. «Allez, on recommence.»

La musique reprit. Bastien réapparut, profond. Il chanta:

Ich geh jetzt auf die Weide,
Betäubt und ganz gedankenleer.
Ich seh zu meiner Freu...

Bastien/Serge trébucha sur une râpe à fromage. «C'est impossible! Je ne vois même plus mes marques au sol avec tous ces objets. Comment voulez-vous que je me situe bien au centre de mon éclairage?», lança Serge Gagnon, furieux.

Hubert Lesage appela: «Nancy. Nancy! Pourrais-tu faire des plus grosses marques pour monsieur Gagnon?»

Nancy, une jeune femme vêtue d'un vieux jeans noir et d'un t-shirt à l'effigie de Marylin Manson, arriva sur la scène promptement. «Pas de trouble, Hubert!», dit-elle en se penchant devant notre chanteur qui faisait mine d'enlever des poussières sur son costume, un genre de poncho argenté parsemé de cônes de plastique transparents. Elle poussa quelques objets autour d'elle, puis, à l'aide de ruban adhésif orangé, elle fit un gros «X» au sol. «C'est mieux de même, chéri?», chuchota-t-elle au baryton, qui joua l'offusqué comme pour une salle de 3000 spectateurs, puis fila vers la coulisse.

«Non, mais pour qui qui s'prend, le cave? J'vais y en faire une, une transposition, moi, câlisse!», pensa Serge en se débarrassant de son costume. Il enleva tout, tout. Jusqu'à ses sous-vêtements, qui étaient rose gomme. Il se précipita au centre de la scène, mais glissa sur un rouleau à pâte, puis s'étendit de tout son long, emportant dans sa chute Nancy qui venait de se relever.

«C'est bon. On garde ça! Belle proposition.», cria Hubert Lesage du fond de la salle.

Bastien und Roberdt fut un succès. On remarqua l'audace de la mise en scène, mais, surtout, «le talent unique» de Serge Gagnon.

1 commentaire:

  1. Allez, hop! Un peu de burlesque sans queue ni tête pour se détendre un peu...

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