dimanche 3 octobre 2010

Jérémie (nom fictif)

Debout, au milieu de la cuisine, Jérémie regardait tout autour de lui avec innocence. Des casseroles, des ustensiles, des bols à mélanger, de la vaisselle, des plats Tupperware et tant d'autres objets rendaient la vue du plancher quasiment impossible. Il devait bien y en avoir jusqu'à ses mollets. Tout était mélangé. «Julie! Viens voir, viens voir! Y'est trop cute!», cria le père de Jérémie. Julie, la mère, arriva aussitôt, une pile de vêtements bien pliés dans les bras, qu'elle déposa sur le comptoir. «Non, mais y'est-tu pas assez coquinet, celui-là!», répondit-elle, en souriant de fierté. «Coquin de coquinot de coquinet!», lança-t-elle en riant vers son petit trésor, un bambin d'à peine vingt mois.

«Va chercher la caméra, Jacques. Y faut mettre ça sur Youtube. C'est trop cute!», dit-elle à son mari qui fila vers le gros meuble de rangement dans l'entrée. Lorsqu'il revint, Jérémie s'en donnait à coeur joie dans ce fatras domestique. Ça ne lui avait pas suffit d'avoir sorti une grande partie du contenu des armoires de cuisine et d'avoir tout répandu par terre, il voulait maintenant jouer avec tous ces trésors fraîchement découverts. Il se coiffa d'une passoire Tupperware vert pomme en ricanant. Papa et maman observaient cette mascarade, attendris et excités.

Jacques se mit à genoux et commença à filmer son fils. Julie tentait de stimuler son petit à faire des risettes et des singeries, tout en évitant d'apparaître dans l'image filmée. «C'est à qui, ces beaux jouets-là, hein, c'est à qui?», demanda-t-elle à Jérémie d'une voix de marionnette. L'enfant semblait l'ignorer, ce qui ne l'empêchait pas de faire le fanfaron. Ses deux pieds se trouvaient dans des casseroles et glissaient sur les tuiles du plancher, comme des patins bruyants. Julie lança l'éponge de cuisine vers son fils, afin qu'il l'attrape comme un ballon. «Attention, on voit tes bras, on voit tes bras!», chuchota Jacques, professionnel.

Jérémie s'amusait ferme. Soudain, il eut une idée rigolote: il baissa son pantalon pour montrer ses fesses à la caméra. «Non, Jérémie, non! C'est pas beau, ça.», fut la réaction de Julie, entre l'amusement et la panique. «C'est pas grave, Julie, voyons!», ajouta le cinéaste en herbe. Encouragé, Jérémie fit face à la caméra. Son pantalon était maintenant descendu au niveau de ses chevilles. Il se munit d'un verre en plastique rose et se mit faire des mouvements de va-et-vient avec autour de sa bouche. Il faisait des «ah» en riant à cause de l'écho créé par le vide du contenant. Jacques souriait toujours, un peu figé. Julie observait tantôt la scène, tantôt son mari, n'osant pas intervenir. Jérémie se mit à rugir et, continuant le mouvement de va-et-vient, déplaça le verre autour de son sexe.

«Ça suffit, là! Ça suffit!», intervint vivement Julie. Elle donna un coup sur la caméra qui se fracassa au sol. Elle se jeta sur son fils pour remonter son pantalon. Jacques ne bougeait plus, troublé. «On fait pas ça, Jérémie, c'est pas beau!», cria-t-elle d'une voix ferme mais tremblotante. Elle ajouta: «Jacques, reste pas là à rien faire! Aide-moi un peu, maudit niaiseux!», d'un ton autoritaire. Jacques ramassa la caméra, appuya sur le bouton «STOP», puis se mit à ramasser tous ces articles de cuisine. Julie, tenant Jérémie d'une main, rangeait rageusement le tout, sans faire attention à l'ordre. Elle versait de grosses larmes. Jacques était muet comme une carpe. Jérémie, en colère, pleurait, hurlait à pleins poumons.

La caméra fut jetée aux ordures et la carte mémoire fut écrasée à l'aide d'un attendrisseur à viande. Les jeux innocents de Jérémie ne parurent jamais sur Youtube.

1 commentaire:

  1. My goddddd, Robert!!!!!
    Je suis sans mot....
    Mais je vous suis, dans ce thème, ma foi, de plus en plus sordide et sombre...
    Jusqu'où irez-vous??

    RépondreSupprimer