Lynda, c'était la mère de James. James, c'était ce petit garçon maladroit, un peu grassouillet, qui prenait de cours de karaté donnés par Gaétane, cette professeure d'éducation physique dans une école primaire où travaillait également Jean, celui qui cherchait son plat à fondue et qui finit par tuer son chat Chopin, qui était jaloux de la vie de chien de Shadow, chien renifleur de renom dont le maître-chien était très fier. Lynda aimait son fils plus que tout au monde. Elle l'adorait, même. Mais elle était inquiète.
Son apparence physique, sa lenteur, ses mauvaises notes et maintenant, ce nouvel ami, Félix, dont James ne cessait de parler: tout ceci inquiétait ferme le coeur de mère protectrice que possédait Lynda. C'était rendu insupportable. «Félix, par ci. Félix, par là. Félix, Félix, Félix...»; James semblait obsédé. Que pouvait avoir de si extraordinaire cet enfant, au juste? Et s'il était aussi fantastique que le répétait James, pourquoi diable était-il devenu l'ami de ce dernier?
C'est vrai, pensait-elle, qu'est-ce qu'un petit garçon sportif, brillant et populaire pouvait-il bien vouloir à son fils? Voulait-il profiter de lui? Se moquer? Lui faire croire à une amitié improbable, puis le laisser tomber? Elle avait beaucoup d'amour pour son fils, mais elle devait se rendre à l'évidence: son fils ne méritait pas une amitié sincère avec un petit bonhomme aussi parfait. C'était terrible de penser ça, mais c'était pour protéger James qu'elle avait réfléchi à tout ça. Les enfants sont cruels, se répétait-elle. Et elle aurait tout fait pour éviter que son petit James ne souffre.
Elle voulut en parler à son mari. Ce dernier, trop préoccupé par son travail de directeur adjoint au marketing dans une firme de Québec, ne semblait avoir rien à dire sur le sujet. Il ne sut pas quoi dire. Pour se débarrasser de cette situation dont il n'avait que faire, il dit à Lynda: «Boys will be boys, honey. They probably just like to play together.»
«Play together»? Cette nuit-là, Lynda dut bien se répéter cette phrase des centaines de fois. Elle visualisa le petit Félix, si beau, si blond, si parfait. Elle eut soudain une image que seule une mère peut avoir: son fils, ce Félix, ensemble.
Ensemble.
Elle le savait. Il y avait quelque chose de louche avec cet enfant. Ses manières trop délicates, sa façon de s'exprimer, ses bonnes notes, son intérêt pour les sports de contact... Comment avait-elle pu ne pas voir l'évidence dès le début? Ce petit être était «différent» et il allait tenter de pervertir son pauvre James. Jamais elle n'aurait cru avoir à composer avec ce genre de problèmes avec des petits garçons en si bas âge. Elle eut un frisson d'horreur. Elle fixa le plafond de la chambre à coucher jusqu'au matin.
Avant qu'il ne quitte pour l'école, James trébucha dans l'escalier. À quatre pattes sur le sol, il se mit à pleurer. «Non, James, tu vas pas te mettre à brailler!», hurla Lynda, les yeux bouffis. Elle releva son fils en le tirant par le coude. «C'est pas comme ça qu'on t'a élevé! Qu'est-ce que penserait ton père?», poursuit-elle. James cessa de pleurnicher immédiatement. Il regarda sa mère avec un mélange de frayeur et d'étonnement, puis il cria: «You're hurting me! Don't touch me! I hate you! I hate you.»
Il fila vers l'école en courant.
Lynda fixa la boîte à lunch de son fils, oubliée sur la troisième marche de l'escalier. Elle observa ses motifs à fleurs, ses teintes de violet. À son tour, elle versa une larme. Elle songea à son rôle de mère. De mauvaise mère. Pendant un instant, elle détesta ce rôle, pas plus important qu'un rôle secondaire, qu'elle jouait dans la vie de son fils.
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