Par exemple, il s'était procuré une chemise western bien avant la sortie du film Brokeback Mountain, il y a de ça quelques années. Il s'était senti à cette époque en avance sur son temps. Il s'enorgueillissait alors d'avoir été un genre de précurseur, de visionnaire. La mode? Il la pressentait tant il avait de goût! Ce n'était, la plupart du temps, bien sûr, qu'un heureux hasard. Plusieurs années après la sortie de ce film marquant pour lui vestimentairement parlant, il portait toujours régulièrement ce genre de chemise et en achetait dès qu'il en trouvait, bien que cette mode soit maintenant vue comme dépassée. Alors, il se disait fier de ne pas se soucier des modes, qu'il était un être unique, libre penseur. Étrangement, c'est plutôt pendant cette courte période où les chemises western étaient effectivement en vogue qu'il n'osait pas porter les siennes. Suivre les modes, lui? Jamais.
Robert était donc à la fois victime de la mode sans ne jamais être complètement dans le coup.
Avec sa décoration intérieure, c'était pareil. Un des premiers à avoir osé le gris, il s'empressa de tout repeindre en rouge dès que cette couleur s'était retrouvée sur toutes les pages des magazines de décoration qu'il aimait tant (un amour teinté de dédain, bien entendu). Il y reviendrait, un jour, alors que cette couleur serait vue comme démodée. Bien sûr, il savait bien que le gris reviendrait bien un jour, plus tard. Il se verrait donc non pas comme un nostalgique, mais bien comme un être définitivement en avance sur son temps.
Robert savait que la mode n'était qu'une invention faite pour pousser l'être humain moderne à consommer. Pour cette raison, il se disait contre. Mais ces paroles ne l'empêchaient jamais d'acheter, d'acheter et d'acheter encore. Il pouvait toujours se convaincre que de consommer avec excès, chose de plus en plus mal vue étant donné la vague environnementaliste qui sévissait dans le monde, n'était pas un signe de passéisme, mais bien d'un futurisme raffiné. Le discours environnemental n'allait tout de même pas rester à la page ad vitam aeternam, se disait-il. Comme toute chose est cyclique, il se confortait en croyant fermement que sa façon effrénée de consommer allait un jour redevenir bien vue. Il pourrait dire alors: «Moi, je consomme comme un déchaîné depuis bien avant que ce soit la chose à faire!», tout fier. Il ralentirait alors probablement son rythme de consommation, parlerait de recyclage, de forêts dévastées, alors que ces sujets ne seraient plus que vestiges d'un temps passé.
Pouvait-on donc dire de Robert qu'il était à la page? Oui, mais à la page précédente et à la page suivante d'un livre dont la fin mène inlassablement au début, encore et encore.
Oui, Robert était «off». Souvent. Mais il savait bien qu'un jour, on dirait que «off is the new on». Du moins, il l'espérait.
Pauvre pitoyable Robert.
RépondreSupprimerMes pensées sont avec toi et j'espère qu'il réussira à passer cette étape difficile.