lundi 11 octobre 2010

Marie et Henri (rencontres fictives)

Ce jour-là, Henri était parti faire du camping sauvage. Léonie, son épouse, l'avait bien averti de lui laisser la maison à elle seule. Ce n'était pas trop en demander, arguait-elle. Après 47 ans de mariage, ce genre de petite demande était normal, après tout. Choupette fut également mise temporairement à la porte par Léonie, qui l'aimait pourtant comme une mère aime son enfant. Une femme retraitée pouvait bien vouloir un brin de solitude de temps à autre? Henri, pas du genre à se plaindre, avait sorti son vieux matériel de camping, qui n'avait pas servi depuis des dizaines d'années, puis roula, en compagnie de Choupette, vers Saint Antoine-Abbé.

Le terrain de camping qu'Henri choisit, bien que peu éloigné de la ville, était parfaitement rustique. Il représentait tout ce qu'Henri avait toujours aimé: la nature, la vie simple, l'obligation de faire preuve de débrouillardise face à des installations plus que rudimentaires. En plus, comme septembre tirait à sa fin, il se voyait jouir d'un espace presque désert et en plus, pas trop cher. Passer un jour et une nuit à vivre comme ses ancêtres hurons (sa grand-mère était huronne), c'était un rêve réalisé.

Avec Léonie, luxe et confort avaient été la règle, pendant ces 47 années. Il n'était pas question de dormir sous une tente, de manger à même une casserole ou d'éviter de se laver pour éviter les piqûres de moustiques. Non, non. Henri, un peu bonasse, avait fini par s'habituer, lui aussi, au confort de ce genre de vie, bien qu'il ne l'eût jamais vraiment choisie. Ce n'était pas l'idée qu'il s'était fait de sa vie, mais, c'était une idée. Et Léonie semblait tellement comblée.

Choupette ne semblait pas se plaindre de son nouvel univers temporaire. Elle gambadait joyeusement à travers les branches mortes, se roulait dans la terre, mordillait des insectes. Son pelage gris perle, bien brossé, ainsi que sa boucle rose prirent rapidement des couleurs plus ternes. Elle jappait gaiement, en tournant autour d'Henri qui finissait de monter sa tente.

Henri se dirigea vers sa voiture, où il avait laissé sa glacière, afin de se déboucher une bière. Il prit aussi une langue de porc dans le vinaigre, aliment que Léonie interdisait de séjour dans leur demeure, qu'il mangea avec plaisir et avec ses doigts. Il jeta un petit morceau à Choupette, qui le renifla. Henri l'aurait juré: la petite chienne regarda autour d'elle afin de voir si Léonie n'était pas dans les parages, puis, lorsqu'elle fut bien assurée que sa maîtresse n'y était pas, elle grugea la chair rose en grognant de bonheur.

Plus tard, autour d'un feu, Henri resta longuement assis, immobile, presque méditatif. Il se sentit calme et heureux. Le silence fut brisé par une sonnerie de téléphone cellulaire. Choupette se réveilla en sursaut d'un sommeil profond. «Maudit! J'ai pas fermé ça, moi?», se dit-il. Il fouilla dans sa poche et répondit.

«Papa? C'est Marie.» C'était sa fille. Pourquoi appelait-elle, si tard, et à son numéro de cellulaire? «Papa, il faut que je te parle.» Lui parler? Pour lui dire quoi? Pourquoi ne pas avoir appelé sa mère, comme d'habitude? Depuis quand avait-on besoin de lui parler, à lui? «Papa, je suis dans la marde. Les photos. Quelqu'un les a volées cet après-midi.» Les photos. Non, ce n'était pas possible. Volées? Mais, par qui? «Tu le sais très bien, qui. Papa, il faut que tu m'aides. Y'a juste toi qui...» Marie pleura. Henri, peu habitué à composer avec les émotions trop exprimées, ne sut quoi répondre, sauf: «Fais-toi z'en pas, ma belle. Je vas tout arranger ça. Mais arrête de pleurer, là. Tout va bien aller, tu vas voir. Tout va bien aller...»

Avoir des enfants, ça non plus, ça n'avait pas été son idée. Il s'y était fait et était même très fier d'eux, surtout de Marie, mais jamais il n'avait réellement désiré être père. C'était une de ces choses qui étaient survenues dans sa vie, comme ça, et dont il s'était accommodé. Jusque-là, son rôle de père n'avait jamais représenté de défi particulier. Il s'était senti à la hauteur. Il n'avait jamais eu à mentir; seulement à se taire, parfois. Sauf en cet instant, juste avant d'éteindre son téléphone. «Tout va bien aller»: rien n'était moins vrai. Il regarda les flammes danser.

Henri ne pleura pas. Il se dit qu'il lui fallait tout recommencer, toute sa vie, à zéro.

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