À chaque année, cette petite récompense arrive comme au baume. On peut enfin lâcher prise, effacer le passé, faire des tapons de lanières de papiers qui ressemblent à de la paille de Pâques, mais avec des petits bouts de chiffres écrits dessus. Justement, ce moment arrive souvent alors que la nature se réveille et que Pâques commence sérieusement à faire sentir sa présence au comptoir du Jean-Coutu de par ses fidèles ambassadeurs que sont les oeufs Cadbury. C'est le cycle de la vie qui nous saute en pleine face: une belle grosse pile de papiers déprimants meurt et le ti-Jésus ressuscite. C'est pas beau, ça?
Il y a un réel plaisir, un soulagement, même, à se défaire de certaines choses. C'est comme quand on tire la chasse pour regarder un gros morceau couler en faisant des spirales. Bon, bon, ne me jugez pas. Qui n'a pas ressenti un genre de fierté à voir le résultat d'une grosse et lente digestion prendre la route des égouts? On se dit: «Bon. Une bonne affaire de faite. Ça fera toujours ça de moins à traîner.» Couper les ponts avec son passé, c'est un vrai présent, quoi.
Pour les papiers d'impôts, c'est pareil. On se sent plus léger quand on s'en débarrasse. Même les plus honnêtes d'entre nous gardent toujours au fond de leur esprit cette idée saugrenue qu'un jour, quelqu'un voudra fouiller dans notre passé. Cette crainte d'avoir à déterrer de vieilles informations comptables n'est pas un sentiment conscient, bien sûr. Mais elle est en nous. Ça nous gruge, lentement. C'est un parasite à combattre. Alors, la déchiqueteuse est comme un remède, qui détruit le méchant. Dommage que cette grâce ne nous soit accordée qu'une seule fois par année, comme un serpent qui mue ou un B.S. qui passe chez le dentiste pour un détartrage gratis.
Malheureusement, ce bonheur n'est que de courte durée. Les papiers, c'est comme des morpions dans un matelas usé de sauna gay: ça se multiplie. Lentement, mais régulièrement, les piles gagnent en hauteur comme de la mauvaise herbe. Les chemises se gonflent comme certaines vedettes sur le déclin. Les filières s'alourdissent comme un texte qui abuse des comparaisons. On croyait avoir conquis l'ennemi, mais le voilà qui nous revient, sournoisement (comme un feu sauvage la veille d'un mariage?). Bientôt, on ne sait plus comment gérer cette nouvelle présence. L'envie de faire appel au shredder est forte, mais notre conscience de citoyen honnête nous empêche d'agir.
Je pense parfois à des incendies imaginaires qui me permettraient de repartir à zéro. Ce fantasme, j'en suis sûr, est partagé par beaucoup de monde. Joe Bocan, entre autres. Mais l'incendie doit rester imaginaire, car tout ce qui s'accumule n'est pas nécessairement néfaste pour nous. Pour se défaire du mauvais, il faudrait alors sacrifier le bon?
La solution est donc d'apprécier chaque instant, de ne pas penser à l'avenir, tout en oubliant notre passé. «Here and now, Robert, here and now», que j'aime bien me dire à l'occasion. Je me souviens de tant de moments heureux où cette phrase m'a sauvé. Et je visualise souvent toutes les fois où, dans mon futur, cette phrase me procurera sérénité.
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