Bien sûr, vous avez déjà compris que ces photos sont de «vraies» photos, sur du papier photo, du genre qu'on range dans des albums photo. Mais moi, non sans une certaine prétention d'éviter les clichés, j'avais décidé que des albums photos, c'était dépassé, ringard et même un peu déprimant. Les feuilles de plastique transparent qui déchirent et plissent, les surfaces blanches et rigides enduites de fines rayures collantes (vous vous souvenez?), les couvertures ornées de couchers de soleil brunâtres, ce n'était pas pour moi. En plus, je me voyais mal remplir ces albums, un à un, avec des photos dont les formats variés rendraient impossible une mise en page efficace (quel bonheur d'avoir éradiqué les photos «panoramiques» - what were we thinking?!?), dans le but de raconter les histoires décousues de ma vie.
Un film (note aux moins de 25 ans: un film, c'était un rouleau de pellicule, qui contenait généralement, mais pas toujours, 24 prises) pouvait relater Noël en famille, un bal de graduation, quelques photos coquines et, comme le nombre de photos restantes était souvent incertain vers la fin du rouleau, les classiques dernières photos du chat pour finir le film (qu'il fallait aller faire développer, en passant). Comment tout classer logiquement, dans ce cas? Par film? Impossible, vu la variété des événements qu'un seul rouleau pouvait couvrir. Par événement? Certains albums risqueraient alors de ne contenir qu'une page alors que d'autres nécessiteraient plusieurs albums (ou, pire, un album plus quelques pages du suivant). Les albums, c'était réglé pour moi. Ils ne feraient pas partie de ma vie.
J'ai donc opté pour la boîte. Attention: pas n'importe quelle boîte, mais la boîte appropriée, conçue pour ranger des photos. Jusque là, mon choix était, je peux le reconnaître, pertinent. Mais ça ne suffisait pas. J'ai pensé aller plus loin. Viser la perfection du classement. J'ai cru bon classer mes photos par thèmes.
Erreur.
Dans la boîte «Voyages», se côtoyaient les images de tous mes voyages: certains avec la famille, d'autres avec l'école, des voyages entre amis, d'autres avec des ex. Chaque section était séparée de l'autre par un petit carton identifié. Dans une autre boîte, se trouvaient les photos de famille: anniversaires variées devant des gâteaux similaires avec des clichés de bougies soufflées carrément interchangeables si ce n'est de l'apparence des gens et de leurs tenues. Une autre boîte contenait les photos d'amis. Une autre, celle d'accomplissements liés au travail. Une autre, les photos artistiques de paysages. Une boîte «Enfance», une boîte «Censuré», une boîte «Photos ratées». Une autre, remplie de photos de chats. Et ainsi de suite.
Le problème, vous l'aurez sûrement deviné, c'est que certaines photos pouvaient bien appartenir à la logique inhérente à plus d'une boîte. Exemples: je souffle les bougies d'un gâteau, entouré d'amis et de ma famille; devant un coucher de soleil brunâtre, mon père montre la longueur d'une truite; je caresse, flou, un chat lors d'un voyage lié à mon travail, avec un ex, nu, et ses amis (dont un célèbre son anniversaire) devant un paysage artistique me rappelant ma famille... Bref, vous voyez ce que je veux dire. Mais j'étais tenace. Je voulais aller jusqu'au bout de mon idée, mauvaise ou pas.
Une fois toutes mes photos classées, selon ce système hautement subjectif, il n'y avait plus moyen de m'y retrouver. La chronologie avait foutu le camp. Les sous-classifications pullulaient. Les groupements étaient plus que douteux. Le bordel.
Ne sommes-nous pas heureux, de nos jours, avec nos photos virtuelles? Elles ne prennent aucun espace physique, ce qui est déjà beaucoup (bon, il y a bien les copies sur CD, sur DVD, sur disques externes, sur clefs USB...). Elles se classent par date automatiquement (je peux mieux constater «qu'on rajeunit pas, personne!»). On peut les trier en les dupliquant, et former ainsi des «albums» virtuels (que jamais je ne regarderai). Sur mon Mac, je peux même faire reconnaître les visages présents sur mes photos par l'ordinateur qui me créera ainsi de nouvelles classifications instantanées (connaissez-vous quelqu'un qui a pris le temps d'utiliser cette fonction? Si oui, je dis: «LOSER!›). En plus, avec l'ère du numérique, je n'ai plus de photos de chat (il faut dire que je n'ai plus de chat, mais, bon).
C'est le bonheur, non? Comme un coucher de soleil dans mon coeur.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire