lundi 1 mars 2010

Conte canadien, 10e partie

Quand la porte de mon garage s'est ouverte, je gisais toujours sur le plancher, à moitié inconscient. C'est vraiment une voix nasillarde qui m'a réveillé complètement. «Sir, don't move, you are under arrest!», a dit une voix féminine que j'ai tout de suite été heureux de ne pas avoir à entendre à tous les jours. Le pauvre gars marié à cette femme-là devait bien avoir des envies de se mettre des bouchons dans les oreilles. Chaque son qui sortait de cette petite bouche rose était comme une torture auditive. «You have the right to remain silent», a-t-elle ajouté, de son ton de chialeuse. J'ai pensé: «Maybe YOU should remain silent», mais je me suis retenu. En fait, j'étais tellement faible que, même avoir voulu, jamais je n'aurais pu répondre intelligiblement. J'ai ouvert les yeux.

La petite femme minuscule qui me criait après comme ça se tenait debout à mes pieds. Son uniforme de police paraissait vraiment trop grand pour elle. On aurait dit qu'elle avait emprunté les vêtements de son mari. Bien sûr, à lui voir la face, j'ai compris qu'elle n'en avait probablement pas, de mari. Je l'ai plutôt imaginée avec une belle petite boulotte frisée qui collectionne les photos de chats. Ça m'a fait sourire.

- This is no laughing matter, sir, you are under arrest.

Les autres policiers s'affairaient autour d'elle, déjà muni de sacs Ziplock et de gants de latex. La petite a fait un signe de la tête à un de ses collègues. Sa casquette s'est déplacée. Elle avait l'air plus coquette comme ça, la casquette de travers. Elle l'a pourtant replacée d'un geste brusque et embarrassé alors qu'un Indien (d'Inde, pas comme dans «Amérindien» ou «autochtone») un peu trapu s'est penché vers moi pour me passer les menottes. Il a essayé de me relever, aidé de deux ambulanciers qui devaient avoir treize ans, pas plus.

Moi, j'étais un peu sonné, mais j'appréciais le spectacle qui se déroulait devant moi. C'était une scène vraiment comique, au fond. Pathétique, mais comique. J'ai inspiré un bon coup. Ça m'a aidé à me relever. Autour de moi, on ne savait plus comment me prendre. Un des deux infirmiers a perdu un gant, qu'il a essayé de remettre avec ses dents. Le plus grand et le plus fort de toute la bande, un blond avec une moustache bien taillée, était très occupé à dérouler un ruban jaune de plastique autour de mon congélateur, qu'il a ouvert. La lumière du congélateur a fait briller ses yeux verts.

On a voulu me conduire dehors. Tout allait bien se terminer là, je le savais. J'ai vécu un moment très émotif: j'allais laisser derrière moi une partie importante de ma vie. Je voyais un peu embrouillé, mais je pouvais tout de même distinguer plusieurs détails. Au dernier instant, je me suis retourné vers mon congélateur pour regarder à l'intérieur.

Le corps de Brandon n'était plus là. Les Tupperware (bon, bon, le marionnettiste avait raison, ce n'était que du «Ukrainian Tupperware») étaient classés d'une manière phénoménale. Le système que j'avais sous les yeux était impeccable. Simplicité, ordre, efficacité, doigté. Jamais je ne serais arrivé à telle perfection. Les dates étaient toutes visibles, au premier coup d'oeil. Les piles étaient régulières et stables. Les différentes marques étaient distribuées harmonieusement, comme jamais je ne l'aurais osé. L'ensemble créait un tableau ravissant, touchant, même.

J'ai versé une larme en pensant à Robert.

Il faudrait bien que je le revoie, celui-là, un de ces jours.

FIN.

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