lundi 22 mars 2010

Chaque chose à sa place

Mon système est infaillible. Chaque chose à sa place et une place pour chaque chose. Infaillible? Think again.

J'ai la fâcheuse habitude de ranger mes affaires. Mes épices sont classées. Mes vêtements sont classés. Mes papiers d'impôt sont classés. Tout est classé. Bien sûr, mes livres aussi sont classés. J'ai un système précis, qui me permet de repérer mes livres non pas alphabétiquement, mais par catégories. C'est plus joli ainsi. Les gros livres d'art ensemble, les petits romans en français ensemble, les dictionnaires ensemble, etc. Ce n'est pas un système parfait, mais allez faire un tour dans n'importe quelle bibliothèque du monde et vous y verrez aussi des imperfections grotesques, où les livres se suivent, mais ne se ressemblent pas.

Ceci dit, mon système est rigoureux. Alors, dites-moi bien: pourquoi, câlisse, que je n'arrive pas à trouver mon livre El amor es un francotirador, de Lola Arias?! Il n'est pas là où il devrait être. Dans la section «fiction en espagnol»? Pas de trace de Lola Arias. Il n'est pas non plus parmi la section «théâtre». Il n'est pas dans aucune section. Ce livre... est nulle part! Et ça m'obsède.

Il m'arrive souvent de perdre des objets. On pourrait même dire que c'est ma perte constante de choses diverses qui m'a poussée dans le chemin strict de l'ordre. J'en avais assez de fouiller partout afin de tenter de trouver tout et rien, alors, je me suis discipliné. Malheureusement, je dois me rendre à l'évidence. Ce fut un échec.

Cette semaine, seulement, j'ai cherché, avec des degrés divers de réussite: ma ceinture western, ma 7e cuillère à dessert Guy Degrennes (la 8e a été jetée aux poubelles par «quelqu'un d'autre», mais ne me partez pas là-dessus), mon adaptateur/chargeur pour mon Nikon, mon persil, mon dossier «contrats 2010», ma chemise à carreaux en flanelle, mon exact-o, une spatule, une des deux gugusses en caoutchouc qui recouvrent mes écouteurs de iPod, ma carte fidélité Bureau en gros... Tant de choses! Incluant mon livre El amor es un francotirador.

Pourtant, ce livre est difficile à perdre. Il est rose. Rose gomme. C'est mon seul livre rose gomme. J'ai cherché partout. Je voulais le relire, question de me plonger dans le langage spécifique à l'Argentine (Lola Arias est une jeune femme de théâtre de l'Argentine) avant mon voyage dans ce même pays prévu pour le mois de mai. Ce livre est introuvable. Pire, il me serait quasi impossible d'en racheter une copie ici à Montréal. Je l'avais acheté à Berlin, dans un festival de théâtre expérimental qui m'avait attiré par son affiche qui montrait une femme de profil avec la tête imbriquée dans un sac de magasinage en treillis de plastique vert.

Les options ne sont pas si nombreuses: j'ai prêté ce livre (mais à qui?), j'ai rangé ce livre dans «un lieu sûr, pour être certain de ne jamais le chercher» (cette tactique est l'ennemi de l'ordre - comment aurais-je fait pour me faire reprendre à ce piège, cette fausse bonne idée, malgré toute mon expérience?), j'ai perdu ce livre dans un trou noir de l'espace-temps.

De plus en plus, je commence à croire qu'il y a des trous dans l'espace-temps. Ces trous sont remplis de bas uniques, de petits papiers avec des numéros de téléphone et de tout ce qui nous échappe, malgré une constante vigilance. Quelle est l'utilité de ces trous? Veulent-ils nous convaincre que «ce n'est pas le matériel qui compte»? Veulent-ils nous prouver que ceux qui vivent dans un désordre constant, mais qui arrivent toujours à tout trouver ont raison? (Vous en connaissez sûrement comme ça: ils sont tellement fiers de leurs bordels... «Ah, moi, je me comprends dans mon désordre» et gna, gna, gna - je les haïs.) Veulent-ils simplement nous narguer et mettre à l'épreuve notre bonne humeur? Mystère.

J'y pense... Si ces trous sont remplis d'objets, peut-être sont-ils aussi remplis d'humains? Il arrive à tous de se demander «mais où ai-je la tête?». Alors, si jamais vous vous sentez parfois perdus, peut-être fréquentez-vous ces trous? Si tel est le cas, ouvrez l'oeil.

C'est un livre en espagnol, de taille moyenne, à la couverture matte et cartonnée.

Rose gomme.

4 commentaires:

  1. c'était rose et tentant qq a dû l'embarquer

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  2. J'aurais dû me méfier et l'emballer de papier brun.

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  3. Je crois sincèrement à ta théorie des trous dans l'espace-temps. Ici, malgré mon désordre apparent, je réussis à retrouver la majorité de mes choses, mais depuis que j'ai un coloc, ce sont soit les couvercles, soit les plats de mes tupperwares qui ont eu la fâcheuse tendance à disparaître. Et des chaussettes. Et mon énorme livre de Bourdieu - à couverture blanche, mais qui doit forniquer avec le tien pour nous faire des bébés, entre le théâtre expérimental et le marché des biens symboliques, le tout teinté rose pâle.

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  4. ...à moins qu'ils n'aient utilisé un quelconque moyen de protection!

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