jeudi 30 septembre 2010

Shadow (nom fictif)

Debout, au milieu de la cuisine, Shadow regardait tout autour de lui avec professionnalisme. Des casseroles, des ustensiles, des bols à mélanger, de la vaisselle, des plats Tupperware et tant d'autres objets rendaient la vue du plancher quasiment impossible. Il devait bien y en avoir jusqu'à son flanc. Tout était mélangé. «Shadow, assis!», lui dit son maître chien.

Shadow s'exécuta, tant bien que mal, ne sachant pas où poser son postérieur. Avec son museau, il poussa certains objets, puis attendit la prochaine instruction, bien assis. C'était ridicule d'avoir à attendre. Ce que son maître cherchait, il l'avait déjà trouvé, mais il savait bien que son maître préférait avoir l'impression que c'était lui qui trouvait. Alors, il attendit.

D'un petit coup sur sa laisse, il sut enfin qu'il fallait qu'il renifle cet amoncellement afin de pointer, de son museau, vers l'objet de la recherche. Il se releva et fit mine de fouiller la pièce à fond. C'était pourtant évident, ce que tous ces humains cherchaient. Qui n'aurait pas senti l'odeur de cette chose du tout premier coup? Après avoir fait semblant de fouiller pour trouver la chose qui semblait tant intéresser tout le monde, il se planta devant et s'arrêta net. Il ajouta un petit jappement intelligent.

Son maître mit des gants, se pencha et souleva méthodiquement un gros bol en Tupperware. Fut enfin déposé dans un sac de plastique le trésor tant recherché: une main humaine ensanglantée à moitié pourrie.

Shadow se demanda: «Mais voulez-vous bien m'expliquer ce que tout ce monde compte faire avec ça?» et sentit la main de son maître lui caresser la tête virilement. Il ne comprenait vraiment pas tous ces jeux, mais ces caresses, elles, étaient si douces...

mercredi 29 septembre 2010

Akio (nom fictif)

Debout, au milieu de la cuisine, Akio regardait tout autour de lui avec curiosité. Des casseroles, des ustensiles, des bols à mélanger, de la vaisselle, des plats Tupperware et tant d'autres objets rendaient la vue du plancher quasiment impossible. Il devait bien y en avoir jusqu'à ses mollets. Tout était mélangé. Il y avait si longtemps qu'il avait voulu voir cette cuisine. On lui avait déjà raconté tant d'histoires qui s'y seraient déroulées, trois cents ans plus tôt.

Cette époque, il la connaissait comme s'il y avait vécu. Il avait absorbé tant d'informations sur ce début de millénaire et en avait perçu tant d'images grâce à la bio-intégration de données. Il pensait, en fait, tout connaître sur la vie des humains à cette époque, mais pour la première fois de sa vie, il se retrouvait dans un vestige de ce temps, dans un lieu qui semblait presque ne pas avoir évolué. Il mettait enfin les pieds dans la maison de ses ancêtres, dans ce qui restait de cette ville mythique qu'avait été New York.

Il regarda de près les objets sur le sol. C'était incroyable de voir à quel point aucun ne s'était complètement décomposé. Les liens bio-intégrés se faisaient à mesure qu'il se concentrait sur chacune de ces choses. Ceci était une casserole en acier inoxydable, alliage de fer et de carbone additionné de 12% de chrome en solution dans la matrice, matériau courant au 20e et 21e siècle jusqu'à la découverte de l'oxygène électropositif solide. Ceci était une tasse à mesurer, qui servait à la préparation des aliments. Ceci était une passoire en polyéthylène, commercialisé sous le nom de Tupperware vers la deuxième moitié du 20e siècle, qu'Akio connaissait déjà sous le nom de Twá. C'était incroyable. Tous ça avait déjà appartenu à la grand-mère de la grand-mère de la grand-mère de la grand-mère de sa grand-mère.

Alors que ses contemporains ne pensaient que rarement au passé, Akio, pour une raison qu'il ne s'expliquait pas, y songeait constamment. Ça le fascinait, toutes ces coutumes, l'extrême complexité de toutes ces choses qui maintenant n'existaient plus ou ne demandaient aucun effort. Alors qu'aujourd'hui, il n'avait souvent plus qu'à user de sa pensée pour que se matérialisent tant d'éléments essentiels à sa survie, il se disait que cette obligation du travail devait bien être très agréable.

Il songea à cette femme, décédée près de trois cents ans plus tôt, avec qui il partageait une histoire génétique, et tenta de se mettre à sa place. Il possédait toutes les informations afin de recréer mentalement son quotidien, jusque dans les moindres détails, s'il le désirait, mais il n'arriva pas à s'imaginer, lui, vivre cette vie. Malgré tous ses efforts, tous ses désirs et ce voyage physique dans l'endroit même où cette personne avait vécu, il ne resterait que spectateur.

Il envia cette femme, avec toutes ses limites et toutes ses contraintes. Il eut un dernier contact tactile avec cet univers, puis quitta ce secteur oublié.

De retour chez lui, il regarda la Terre et la trouva belle, sans humains. Mais avec, combien devait-elle l'avoir été encore plus?

mardi 28 septembre 2010

Matthew (nom fictif)

Debout, au milieu de la cuisine, Matthew regardait tout autour de lui avec rage. Des casseroles, des ustensiles, des bols à mélanger, de la vaisselle, des plats Tupperware et tant d'autres objets rendaient la vue du plancher quasiment impossible. Il devait bien y en avoir jusqu'à ses mollets. Tout était mélangé. Ses colocataires le regardaient en riant dans cette petite cuisine dominée par une odeur de marijuana, de fumée et de bière tiède. D'autres personnes, aussi, étaient attroupées, se tenant par le cou, s'embrassant, riant aux éclats. Parmi cette foule dense, on devinait des revendeurs de drogue, des prostitués mâles et femelles, des vieillards qui sentaient l'urine, des jeunes squelettiques qui n'avaient pas dormi depuis des jours.

Matthew était né à Kirkland, dans un quartier sécuritaire où les maisons semblaient gonflées à l'hélium tant elles étaient grosses, trônant au milieu de terrains égaux, gazonnés et soignés. L'école privée avait été une épreuve pour lui. Toutes les matières lui semblaient trop faciles. Il avait toujours eu l'impression de déjà connaître la fin de toutes les phrases que prononçaient ses professeurs, dans leur anglais pointu, vaguement british. Ses notes étaient si élevées que jamais on n'avait songé à questionner Matthew sur son cheminement scolaire. Les adultes, peut-être parce qu'ils se sentaient inférieurs à lui, avaient même tendance à ne jamais lui adresser la parole. On le laissait à lui-même, dans un singulier mélange de confiance et de méfiance.

Matthew vivait maintenant avec sept autres garçons, la plupart dans la vingtaine comme lui, dans un demi sous-sol miteux qui se transformait tantôt en piquerie, tantôt en bordel. Le va-et-vient était constant. Parfois, il y avait tant de monde dans cet espace pourtant minuscule qu'on en voyait en enjamber d'autres pour passer d'une pièce à l'autre. Matthew n'avait rien de spécial, si on le comparait au reste du groupe. Il faisait partie intégrante de ce microcosme, sans se démarquer. Jusqu'à cette nuit.

Enfant, il donnait parfois des frissons à sa mère. Elle le trouvait trop mignon, trop sage, trop intelligent. Il avait déjà entendu ses parents discuter à son sujet: «He's an old soul, this one». Cette phrase, il se la répéta à tous les jours à partir de ce moment. Cette phrase était gravée dans son esprit. Cette phrase, cette nuit-là, il l'entendait comme un cri.

Était-ce l'effet de l'alcool? S'agissait-il d'une surdose? Avait-il ingéré de «mauvaises» drogues de contrebande? Chose certaine, c'est que vers 4h00 du matin, il se mit à hurler et à tout saccager sur son passage. Bien sûr, dans cet appartement négligé, il n'y avait rien de grande valeur: que de vieux objets dépareillés, brisés, qui ne servaient pour ainsi dire jamais. Ainsi, de voir tous ces articles de cuisine lancés dans les airs, se fracasser sur les murs et retomber sur le plancher, c'était un vrai spectacle comique aux yeux de cette faune normalement désabusée.

Jamais Matthew n'avait aimé être le centre d'attention. Ses jeux d'enfants étaient solitaires. Son imagination, pourtant débridée, n'était jamais exprimée. Une fois, une seule, il avait vidé le tiroir à Tupperware de sa mère pour se fabriquer une armure de chevalier. C'est son père qui l'avait trouvé, nu sous un assemblage de plats et de bols divers, en train de courir dans la cour arrière comme un déchaîné. Il avait été puni, frappé, même, seulement d'un petit geste contrôlé et symbolique, mais qui lui laissa des traces toute sa vie.

Il poussa un cri. À bout de souffle, il se déshabilla et s'effondra au milieu de cette cuisine et de ces rires incontrôlés. Peu à peu, les rires cessèrent. On tourna le dos, on retourna dans les autres pièces. Le spectacle était terminé.

Un jour, un petit garçon voulut crier, mais il ne cria pas.

lundi 27 septembre 2010

Léonie (nom fictif)

Debout, au milieu de la cuisine, Léonie regardait tout autour d'elle avec délice. Des casseroles, des ustensiles, des bols à mélanger, de la vaisselle, des plats Tupperware et tant d'autres objets rendaient la vue du plancher quasiment impossible. Il devait bien y en avoir jusqu'à ses mollets. Tout était mélangé. Ça faisait déjà deux mois qu'elle ne pensait qu'à ce jour, qui était enfin arrivé. Elle allait faire son lavage de tablettes de cuisine annuel.

Bien sûr, il lui arrivait de vider une tablette pour passer un coup de chiffon de temps en temps, mais aujourd'hui, c'était l'occasion de revoir tout le contenu de sa cuisine au grand complet, de faire le point. Elle trouvait un plaisir incroyable à passer chaque pièce en revue, une à la fois, de la regarder, comme d'autres regardent leurs vieilles photos de famille. Elle en profitait pour tout nettoyer soigneusement, caressant chaque courbe de couvercle, savourant les douces textures de l'acier inoxydable, de la porcelaine ou du Tupperware.

Cette journée, c'était sa préférée. Son petit Noël juste à elle. Pour bien apprécier chaque instant, elle prenait soin de mettre à la porte son mari, qui en profitait pour faire du camping sauvage, ainsi que Choupette, sa petite chienne qu'elle aimait énormément, mais qui allait suivre Henri dans son périple en forêt, qu'elle le veuille ou non. Léonie ne négligeait aucun détail: l'éclairage à son maximum (pour ne rien laisser passer), le plancher lavé à fond (la brosse à dent était son alliée pour les espaces entre les tuiles), du parfum d'intérieur cher (et non ceux disponibles en pharmacie, qui ne servaient que les autres 364 jours de l'année) et CHIC, la radio 100% classique, que son mari ne supportait pas.

Elle frotta une première fois toutes les tablettes avec une eau savonneuse, ne négligeant pas non plus les fonds de tiroirs, puis rinça avec de l'eau tiède. C'était la première étape. Ensuite, elle passa en revue les zones problématiques et les identifia avec des petites feuilles autocollantes colorées (cette année, c'était rose), tirées du bloc-notes qui ne servait normalement qu'à retranscrire les numéros de téléphone. Ensuite, elle attaqua ces zones avec une solution bien à elle, meilleure que tout ce qui était disponible dans le commerce, qui contenait, entre autres: eau de Javel, bicarbonate de soude et une goutte d'eau de rose. Après, elle rinça à nouveau, avec une éponge neuve qu'elle jeta aussitôt terminée cette étape. Le dernier passage, c'était son petit cadeau. Elle prit un linge blanc, qui ne mentirait pas sur la possible saleté oubliée et nettoya voluptueusement toutes les surfaces une dernière fois. À chaque coup avec le linge, elle observait le coton blanc immaculé avec fierté, mais aussi en ressentant à chaque fois comme un petit deuil. Elle ne revivrait plus ce moment avant l'année prochaine.

Le lave-vaisselle, pendant tout ce temps, fonctionnait à pleine capacité, en produisant son vrombissement rassurant. Elle dut bien le remplir et le vider huit fois, cette journée-là. Les pièces plus encombrantes ou plus fragiles, elle les lavait à la main, une fois les tablettes bien propres. Sa lessive, la veille, avait été prévue en fonction de cette journée spéciale: tous les linges à vaisselles étaient nets et repassés. Ce jour-là, elle en passa une bonne douzaine, voulant éviter les traces souvent laissées par les linges trop humides. Elle souriait devant chaque morceau replacé, se remémorant du coup les plus beaux moments de sa vie: son mariage, son voyage de noces, la naissance de ses quatre enfants, l'arrivée dans sa vie de Choupette.

Elle se souvenait de la provenance de chacune des pièces: le bol à salade en verre taillé offert par Noelline, sa grande amie; les verres à jus, humblement accumulés dans une station-service entre 1973 et 1976; l'essoreuse à salade, tout dernier article jamais acheté au Simpsons de son quartier avant sa fermeture. Sa cuisine, c'était comme le récit de sa vie, comme une biographie détaillée qu'elle aimait relire. Tout y restait gravé, peu importe combien elle aurait pu frotter.

Debout, au milieu de sa cuisine, Léonie regarda autour d'elle avec satisfaction. Tout était impeccable, bien rangé.

C'était clair: elle avait vraiment réussi sa vie.

dimanche 26 septembre 2010

Claude (nom fictif)

Debout, au milieu de la cuisine, Claude regardait tout autour d'elle avec découragement. Des casseroles, des ustensiles, des bols à mélanger, de la vaisselle, des plats Tupperware et tant d'autres objets rendaient la vue du plancher quasiment impossible. Il devait bien y en avoir jusqu'à ses mollets. Tout était mélangé. Un troisième tremblement de terre en moins de deux ans, c'en était trop.

Au début, Claude avait mis beaucoup d'espoir en ce déménagement de Mont-Laurier au Québec vers Rockport en Californie. La Californie, se disait-elle, c'était l'endroit idéal. Là, elle pourrait vivre à son rythme, près de la mer, en n'ayant plus à cacher sa vraie nature. En plus, elle n'aurait jamais plus à pelleter la neige dans son entrée afin de sortir son camion sur des routes glacées, à -20 degrés Celsius. Son premier choix avait été San Francisco, mais un court séjour dans cette ville la ramena rapidement à la réalité. Jamais elle n'aurait eu les moyens d'y vivre, elle qui n'avait aucune formation et qui n'avait jusque-là survécu que grâce à des emplois précaires de tous genres.

Son père, un Américain qui avait laissé femme et enfants quand Claude était encore petite, était loin d'être la personne toute désignée pour lui venir en aide. Comme elle, il n'avait jamais connu d'emploi stable. Tout ce qu'il savait faire, c'était conduire son camion et transporter des marchandises diverses, dans des conditions parfois suspectes.

Claude aussi avait un camion. C'est grâce à celui-ci qu'elle quitta un jour son village natal, emportant avec elle toutes ses possessions, rangées dans de vieilles boîtes de carton. Elle ne possédait pas grand chose, du moins rien de grande valeur, mais ce qu'elle avait, elle le gardait comme un réel trésor. Ce matin-là, elle ne laissa rien derrière.

Debout, devant toutes ces choses éparpillées, elle eut envie de pleurer. Elle aurait aimé appeler quelqu'un pour l'aider, mais qui? Ici, il n'avait pas été aussi facile qu'elle l'avait cru de se faire des amis. Il y avait bien Stacy, qui travaillait avec elle au restaurant, mais cette dernière était toujours tellement occupée avec ses trois enfants, son mari aussi alcoolique qu'un mauvais cliché et sa mère à moitié lucide. Elle prit son courage à deux mains et alla chercher sa pelle dans le garage. Comme elle l'avait fait avec tant de neige par le passé, elle se mit à ramasser ce qui traînait au sol.

Rien ne lui semblait récupérable. La vaisselle était en morceaux, tout était sali, mélangé, déprimant. Dans une grande poubelle de métal, elle jeta, pelletée par pelletée, tout ce qu'elle avait auparavant tant chéri. Tout, même sa collection de Tupperware.

Bien sûr, aucun morceau de cette collection n'était brisé, mais, à mesure qu'elle regardait chacune des piles ramassées, elle ne faisait que remarquer qu'elle n'avait que faire de tous ces services à café, ces boîtes à gâteaux, ces moules à Jell-o, ces ensembles pour servir la salade, les tartes, la crème glacée. «Pourquoi je garde tout ça, au fond? Y'a jamais personne qui vient ici. Je reçois jamais. Je connais personne. Je mange tout le temps dans la même assiette, celle du dessus de la pile, que je lave à chaque jour.», pensa-t-elle.

Une fois la cuisine vidée, elle fit le tour de sa petite maison. Le salon, minuscule, semblait avoir été épargné par les secousses. Malgré tout, elle fut prise d'un élan incontrôlable et poussa dans la poubelle, avec la pelle, tous les objets qui s'y trouvaient. Le cactus en pot? C'était une plante pathétique, après tout. Le bol qui servait de centre de table? Avait-elle réellement besoin d'un bol, alors qu'elle mangeait quotidiennement chips et bretzels à même les sacs? Le petit cadre avec la photo de ses soeurs, au mariage de la plus jeune? Avait-elle vraiment envie qu'on lui rappelle qu'elle, elle n'avait pas encore trouvé quelqu'un avec qui partager sa vie, à l'aube de ses 50 ans? Les poupées mexicaines, seuls souvenirs de son père? Il y avait longtemps qu'elle aurait dû les balancer aux ordures et elle ne savait pas ce qui l'avait retenu jusque là.

Toute la maison y passa. Tous ces objets, parfois tombés par terre, parfois cassés, mais aussi parfois intacts, elle les haïssait tout à coup. Elle se munit de toutes ses vielles boîtes, empilées dans le fond du garage et fit le plus grand ménage de sa vie. Pourquoi avait-elle même apporté toutes ces choses avec elle?, pensait-elle. Était-ce vraiment comme ça qu'on se refaisait une vie?

Une fois toutes les boîtes mises au chemin, elle retourna dans sa maison. Assise sur la seule chaise de cuisine qu'elle avait décidé de garder, elle prit le téléphone accroché au mur.

«Stacy? Are you O.K.? That was some earthquake, uh?», dit-elle d'une voix tremblante. «Are you alone?», continua-t-elle en ajoutant: «Yes, of course. They are all right?» Elle eut un soupir saccadé. «Stacy, I miss you so much. I really need you right now.» Elle ferma les yeux. «Yes, Stacy, of course, I understand. No, no, really. I understand. It's just that... Yes. Yes... I love you too, baby. I love you too.»

samedi 25 septembre 2010

Luc (nom fictif)

Debout, au milieu de la cuisine, Luc regardait tout autour de lui avec détachement. Des casseroles, des ustensiles, des bols à mélanger, de la vaisselle, des plats Tupperware et tant d'autres objets rendaient la vue du plancher quasiment impossible. Il devait bien y en avoir jusqu'à ses mollets. Tout était mélangé. Il traversa la pièce en se traînant les pieds, faisant du coup bondir les objets sur son passage dans un vacarme qu'il ne semblait même pas entendre.

Pour un adolescent de son âge, ce genre de jeu n'était pas habituel, mais, pour Luc, qui souffrait d'une déficience intellectuelle, c'était un rituel récurrent. Sa mère avait beau lui répéter que chaque chose a sa place et chaque place, sa chose, mais il semblait totalement insensible à ces mots maternels. À force de passer le plus clair de son temps à la maison, il s'était imaginé que tout le territoire du modeste domicile faisait un excellent terrain de jeux. On n'avait pas voulu qu'il continue de fréquenter cette école, pourtant charmante, alors, il n'allait pas se gêner. Tout ce qui l'entourait allait devenir sa propriété et il allait en faire ce qui lui plaisait, qu'on le veuille ou non.

Plus jeune, on ne l'aurait jamais laissé seul à la maison, pas même pour quelques courtes minutes, mais maintenant, il lui arrivait de se retrouver sans surveillance, parfois même pendant près d'une heure. C'est qu'il y avait tant d'autres choses à faire dans cette famille: maman devait faire les courses, aller reconduire le petit Félix à ses cours de karaté, aller au bureau de poste, se rendre chez son psychologue et tant d'autres choses encore. Heureusement, avec son travail de rédactrice pour le magazine Intérieur jour, elle pouvait assurer une présence quasi constante auprès de Luc. Assise devant son ordinateur, elle avait développé cette seconde nature qui lui donnait une vue périphérique et une ouïe aussi aiguisée que celle d'un animal sauvage.

Ce jour-là, cependant, on l'avait convaincue de l'importance d'assister au combat de karaté de son petit dernier. La voisine, souvent prête à venir jeter un petit coup d'oeil de temps à autre, n'avait pas répondu aux multiples appels téléphoniques, ni même à la porte. Luc allait avoir à rester seul. Ce n'était que pour une toute petite heure, après tout.

Luc n'allait pas s'en plaindre. Enfin, allait-il pouvoir jouir de tous ses jouets à sa guise? «Tu vas rester sage?», lui avait-on demandé. D'un hochement de tête mécanique, assis tranquillement devant la télévision, il avait paru rassurant. Mais aussitôt qu'il entendit le claquement de la portière de la voiture, il se leva et commença à explorer.

Autour de lui, toutes ces choses normalement interdites semblaient resplendir, briller. D'abord, il ne fit que les observer de près. Les coussins du sofa, les cadres sur les murs, les poignées des portes, les tablettes remplies de bibelots: tout ça prenait vie. Mais c'est dans la cuisine que la vraie faune se cachait et ça, Luc le savait.

Il ouvrit d'abord un tiroir, juste un peu, juste pour voir. Les ustensiles reluisaient. Au fond, se terrait quelque chose d'intrigant qui scintillait plus encore. Il tira, tira, mais, ne connaissant pas sa force, il tira tant que le tiroir sortit complètement de son rail, tomba par terre, se vidant de son contenu. Sur les tuiles du plancher, ça faisait comme une étoile qui explose. Il ne ria pas, puisqu'il ne riait pour ainsi dire jamais, mais trouva ça vraiment drôle, au fond. «Pourquoi bouder mon plaisir?», dut-il penser. Tous les tiroirs y passèrent, produisant à chaque fois un bruit puissant. Puis ce fut au tour des armoires: celle des casseroles, celles qui contenaient de la nourriture, celle où se trouvait la poubelle, celle des Tupperware et toutes les autres aussi. Chacune fut ouverte, explorée, vidée de gestes lents et impassibles, mais d'une remarquable efficacité.

Au sol, se trouvait, enfin, un désordre apaisant. Luc traversait ce fouillis en marchant, d'abord comme un somnambule, puis comme un conquérant. Il s'y vautrait, en se roulant comme un déchaîné. Il en avait jusque par dessus la tête. Il roulait, roulait. Il y eut un grand éclat de rire, puis... plus rien.

«Maman! Viens voir, vite!»: c'était le petit Félix, dans son kimono blanc. Sa mère arriva en courant, paniquée.

Un long couteau brillait, d'argent et de rouge, parmi cet amas immense, d'où perçait presque imperceptiblement le visage de Luc. Un visage figé, mais souriant.

vendredi 24 septembre 2010

Marie (nom fictif)

Debout, au milieu de la cuisine, Marie regardait tout autour d'elle avec perplexité. Des casseroles, des ustensiles, des bols à mélanger, de la vaisselle, des plats Tupperware et tant d'autres objets rendaient la vue du plancher quasiment impossible. Il devait bien y en avoir jusqu'à ses mollets. Tout était mélangé. Ce n'était pas suffisant d'avoir été victime d'un cambriolage et d'avoir perdu ces mystérieuses photos cachées, elle se retrouvait maintenant devant un fouillis dont elle ne savait que faire. Comment allait-elle réunir le courage nécessaire afin de tout ranger?

Mais il fallait faire vite. Son mari risquait de revenir du travail d'ici quelques heures et elle n'avait pas du tout l'intention d'avoir à expliquer ce qui venait de se passer. Appeler la police était hors de question. Elle ne se voyait pas raconter que quelqu'un s'était introduit chez elle pour n'avoir dérobé qu'une simple enveloppe cachée derrière le vieil extracteur à jus. Les questions auraient incontestablement suivi: «Êtes-vous sûre que rien d'autre ne manque dans la maison?», «Qu'y avait-il dans cette enveloppe, madame?», «Que pouvait-on voir sur ces photos?».

Bien entendu, elle aurait pu mentir. Inventer une histoire de toutes pièces et déclarer des bijoux et des appareils électroniques disparus. Mais Marie n'était pas douée pour le mensonge, et elle le savait. Un seul secret, dans sa vie, ça lui suffisait.

Sans verser la moindre larme, elle se mit à genoux et commença à faire le tri de tous ces objets. À mesure qu'elle accumulait des piles sur le bord du comptoir, elle se rendait compte à quel point tous ces objets, au fond, lui étaient inutiles. La cuisine, ce n'était pas pour elle. À peine savait-elle faire réchauffer les restes que son mari lui préparait et même cette tâche, elle la haïssait. Il lui était arrivé de faire fondre littéralement un contenant Tupperware, en programmant le four à micro-ondes à température maximum pour une période de 90 minutes, pensant qu'il ne s'agissait que de 90 secondes.

Fouiller dans ce tas d'articles de cuisine lui ramenait ainsi en plein visage toute son incapacité à gérer cette partie de sa vie pourtant essentielle: la nourriture.

Heureusement, pour le rangement, elle savait connaître de surprenants moments d'une efficacité remarquable. Quand ça lui prenait, se révélait en elle la ménagère modèle qu'avait été sa propre mère. Elle ferma les yeux et prit une grande respiration. En moins d'une quarantaine de minutes, toutes les piles étaient prêtes à retrouver le chemin des armoires, dont les portes étaient restées ouvertes. Par chance, presque rien n'avait été cassé, sinon quelques verres dépareillés qu'elle jeta sans le moindre regret aux ordures. Vingt minutes plus tard, la cuisine avait repris son apparence d'origine. Tout avait retrouvé sa place, selon le même schéma peu pratique qui faisait souvent soupirer tant de gens, mais pas elle, jamais.

Elle sauta dans sa voiture pour se rendre dans une boutique chic afin d'acheter une gamme de verres de grande qualité. À son retour, son mari l'attendait déjà, en coupant des carottes. «T'as fait du magasinage?», lui dit-elle en guise de mot d'accueil. «Oui, j'étais tannée de nos vieux verres dépareillés, alors, j'ai tout foutu à la poubelle!», répondit-elle en déposant les sacs sur le comptoir.

Ce soir-là, au menu, il y eut: des pétoncles poêlés, une purée de carottes, une salade mixte, un excellent vin blanc, un Château de Rochemorin Pessac-Léognan 2005, servi dans des verres de cristal étincelants et certains silences étranges, qu'on aurait facilement pu confondre avec ces moments si doux que seul savent partager les couples qui croient s'être déjà tout dit.

jeudi 23 septembre 2010

Gratter la surface

J'aime traiter de divers sujets en surface. Il y a quelque chose de sain là-dedans. Creuser, creuser, c'est bien beau, mais ne finit-on pas parfois par être rendu tellement creux qu'on ne voit plus rien? Plus rien que du noir. En surface, on voit bien ce qui est devant nous. Peut-être qu'on n'en voit que la surface, mais, au moins, on voit.

Vous voyez, je pourrais ici aller plus profondément pour creuser cette affirmation, mais je sens que si c'est ce que je fais, je risque de m'emmêler, de me contredire, d'avoir une vision de plus en plus sombre de mon sujet. Tiens, faisons-en l'essai.

La surface, c'est ce qu'il y a sur le dessus d'une chose. C'est la partie visible, normalement. À moins d'être, je ne sais pas, moi, une créature marine et d'avoir la surface au-dessus de ma tête. Vous voyez? Je commencer déjà à m'enliser.

Si la surface d'une chose se retrouve bien en vue, c'est peut-être qu'il y a une raison pour ça. Peut-être que ce qui est dessous la surface, c'est laid, indigne ou simplement vraiment banal. Imaginez un chercheur qui se penche sur un sujet très pointu. Les fossiles de ptérodactyles, par exemple. Cette personne pourra peut-être passer sa vie entière à fouiller, à se poser des questions, à interpréter des petits bouts de roches ou d'ossements et qu'elle viendra à la conclusion, au bout d'une vie (gâchée) consacrée à ce sujet, que les ptérodactyles étaient des genres de dinosaures volants qui sont maintenant disparus. Bref, ce que tout le monde savait déjà. Imaginez sa déception. L'absurde de sa quête. Au mieux, cette personne, en grattant, découvrira peut-être certains détails inusités. Que les ptérodactyles étaient probablement végétariens, par exemple, je ne sais pas, moi... Mais elle n'aura personne avec qui vraiment partager ce savoir. Les gens diront: «Eh ben» en hochant de la tête en pensant à une tactique pour terminer cette conversation au plus vite pour aller prendre une bière dans un 5 à 7.

«Oui, mais, Robert, on ne peut pas se ficher de tout comme ça!», penserez-vous. Sans une couche de la population (qui, j'en suis certain, aime croire qu'elle est la couche du dessus, celle en surface) qui ose fouiller certains sujets, où serions-nous? Ce n'est pas faux. Je suis peut-être moi-même un peu un exemple de ce phénomène, avec mes incessantes pensées sur le Tupperware? Et je mène vraiment notre société plus loin, avec tout ça? Rien n'est moins sûr. Je vous avais prévenu: je commence à me contredire, à ne plus être vraiment clair.

Peut-être aussi que la surface, au fond, ce n'est pas plus clair que le fond. Le fond, au fond, c'est sombre ou pas? Si la surface est au fond, où est le fond? En surface? Aurais-je vécu toute ma vie à l'envers, confondant le haut avec le bas, la croûte avec le noyau?

J'aime bien manger du Jell-o. Le grand plaisir, pour moi, c'est vraiment la première bouchée, celle qui brise la surface bien lisse. Plus on mange, plus on se rend compte d'un phénomène fascinant: on a beau creuser, mais ce qu'on découvre se retrouve automatiquement en surface. On mange, on mange, et on ne peut que constater que la surface, au fond, se rend vraiment creux. La seule fin possible, c'est de mettre à nu une chose qui nous rappelle soudainement que nos vies sont bien peu de choses et qu'elles tireront un jour à leurs fins: le fond. Le fond du bol.

C'est moi, ou il commence à faire noir, ici?

mercredi 22 septembre 2010

Imparfaitement équilibré

Ne vous en faites pas pour moi. Je suis plus équilibré qu'il n'en paraît. Vous voulez des preuves? En voici!

  • Je suis nu bas sur la terrasse en ce moment.
  • Il y a un couteau dans l'évier de la cuisine.
  • J'ai, au frigo, un pot de crème sûre «meilleur avant 09 - 09 - 10».
  • Je porte la même chemise qu'avant-hier.
  • Les plantes extérieures commencent à faner et je trouve ça presque beau.
  • Je n'ai pas vérifié mon «coiffé-décoiffé» dans un miroir depuis plus de trois heures.
  • Depuis près d'un an et demi, je possède des verres de deux tailles différentes, mais similaires, et ces verres sont sur une seule et même tablette, tout mélangés.
  • Je n'ai pas remplacé le filtre de l'aspirateur-robot depuis presque trois mois.
  • Je n'ai pas remplacé les boîtes de bicarbonate de soude au réfrigérateur et au congélateur depuis la dernière fois que j'ai remplacé le filtre de l'aspirateur-robot.
  • J'apprécie l'automne.
  • Je ne vois aucun intérêt à ce que les voitures stationnées devant chez moi soient toutes de la même couleur.
  • J'ai quasiment envie de laisser traîner une casquette quelque part.
  • Je me donne droit à l,erreur.
  • L'historique de mon fureteur internet contient 18 éléments.
  • Je pense que la perfection, c'est fatigant, des fois.
  • Je ne compte pas à mesure les éléments de cette liste.
  • Je répète un principe de blogue que j'ai déjà exploité auparavant et je m'en fiche (cliquez ici pour comparer).
  • Il y a 26 membres de Tupperwareblog, maintenant, et je n'ai aucune nostalgie du temps où il y en avait un nombre rond, comme 20 ou 10, bien que j'aie hâte qu'il y en ait 30, tout en étant convaincu que 31 sera fantastique aussi.
  • J'écris mon trois-centième blogue et je ne me sens pas beaucoup plus excité qu'au deux-cent-quatre-vingt-dix-neuvième.
  • J'envisage l'abus d'élisions.

Si c'pas d'l'équilibre, ça, je m'demande c'que c'est!

mardi 21 septembre 2010

À un cheveu de la folie

25 minutes.

Oui, je dois maintenant me lever 25 minutes plus tôt le matin afin d'atteindre le look «coiffé-décoiffé». Ne riez pas. Ce look «décontracté», que les anglos appellent bed-head (la tête de celui ou de celle qui sort du lit) requiert une série d'étapes de lavage, de rinçage, de peignage, de séchage, de coiffage et de tant d'autres étapes de gossage de finition que, des fois, ça me décourage. Tout ça pour quoi? Pour donner l'impression qu'on n'a rien fait, qu'on est tellement «laisser-faire», qu'on se fiche de tout.

C'est fou comme le désordre a la cote. Malheureusement, j'ajouterai. C'est vrai, elle était belle l'époque où avoir de l'ordre ne faisait pas partie des désordres mentaux. Maintenant, si on a le malheur de repasser ses chemises ou de trier ses billets de banque en les plaçant par ordre de valeur et tous du même sens dans notre portefeuille, on passe pour un détraqué dangereux. Ça fait peur, l'ordre. Ça dérange. C'est louche.

À l'inverse, le fouillis est parfaitement accepté socialement. Il est même recherché. Cet homme travaille dans un bureau où les papiers s'empilent sur des surfaces qui n'ont pas vu la lumière du jour depuis 1984? On louange son ardeur, on soupçonne son génie. Cette enfant barbouille sa feuille avec de la gouache de toutes les couleurs, dans un tourbillon incontrôlé? On sourit de fierté: elle deviendra sans doute une grande artiste. Ce spectacle de théâtre met en scène non pas de vrais acteurs, mais bien des employés d'une usine de dalles de béton en Pologne qui se jettent sur les murs en criant? On salive devant «cette grande oeuvre qui, grâce au pouvoir de ces non-acteurs, touche (enfin) avec vérité l'âme écorchée d'un peuple». En plus, le décor est laid, alors, ça doit vraiment être bon.

Bref, me voici, avec mon bed-head, l'air 25 minutes plus fatigué, tentant d'être dans l'air du temps.

Et c'est fou ce que j'ai l'air décontracté.

lundi 20 septembre 2010

3

Bon. Loin de moi l'idée de faire l'éloge des chiffres impairs, mais j'aimerais qu'on m'explique une fois pour toutes la raison qui pousse l'être humain moderne à construire des tables à quatre pattes qui ne sont jamais au niveau et qui branlent alors qu'une table à trois pattes, elle, jamais ne branlera. C'est une obsession de détraqué qui fait preuve d'un manque de jugement flagrant.

J'étais au restaurant, ce soir, et encore une fois dans ma vie pleine d'épreuves, je constatais que la table où j'étais assis tanguait. Comment faire abstraction d'un tel désagrément et déguster sushis et saké comme si de rien n'était? Et n'allez pas me parler de sachets de sucre ou de serviettes de table pliées glissées sous la quatrième patte!

Non. Il existe d'autres solutions, qui sont viables à long terme. La table à trois pattes, toujours bien stable sur ses trois pattes, est l'une d'elles.

Le chiffre trois, j'aime. Après le un, c'est mon chiffre impair préféré. Trois, c'est magique.

Quand j'avais trois ans, je me sentais tellement en contrôle de la route sur mon tricycle. J'aime les trilogies, les triangles, les trois petits cochons, Three's Company, Trois-Rivières, le ménage à trois (les planchers se lavent tellement plus vite!), les films 3D, les films XXX, les films classés «3». Même Dieu, si vous croyez en ce genre de choses, a cru bon instaurer la Sainte Trinité pour mieux régner sur l'univers - trois points d'exclamation!!!

Le trois, ça devrait devenir une norme: une règle, même. On pourrait appeler ça «la règle de trois». Ça sonne bien, non?

Il se passe quelque chose de vraiment agréable quand le chiffre trois participe à un moment de notre vie. C'est stable, un trois. Ça se tient bien, sans branler.

C'est fou comment tant de graves problèmes qui affligent nos sociétés pourraient être réglés si simplement, mais tellement simplement qu'on n'ose même pas envisager ces options. Préfère-t-on réellement la souffrance à la délivrance? C'est à croire que nous sommes aveuglés par notre façon de voir le monde et que le changement nous fait aussi peur que l'inconnu, la mort ou les toilettes de restaurants japonais.

Je m'imagine souvent en position de pouvoir absolu et je me dis que je pourrais sincèrement et humblement faire de notre monde un monde meilleur, sauf que je n'ai pas pour le moment ce pouvoir, malheureusement. Mais donnez-moi une chance et je vous promets que je ne vous décevrai pas. Une seule chance, même pas trois.

dimanche 19 septembre 2010

Un rien m'habite

Il est facile de confondre minimalisme et inertie.

Laissez-moi vous aider à bien distinguer les deux concepts.

Vous voyez, ce court texte, aujourd'hui, c'est de l'inertie.

samedi 18 septembre 2010

La peur de ma vie

Je comptais ça et ça donnait 5,49% de mon temps consacré aux tâches ménagères. C'est tout?! J'ai été surpris. C'est pas beaucoup. Si ce résultat est vrai, c'est que je suis un dégueulasse, que je me suis dit. Ça m'a fait presque peur.

J'ai recommencé mon calcul. J'avais sûrement sous-estimé combien de temps ça prend, vider un lave-vaisselle. Je me suis minuté. Ça tombait bien, j'avais justement un lave-vaisselle à vider dont la charge me semblait de taille moyenne. J'ai pris soin, comme d'habitude, de créer des piles équilibrées, même avec les ustensiles (sauf les couteaux qui ont la fâcheuse particularité de ne pas être empilables). Quatre minutes 47 secondes, que ça a donné. Soit 13 secondes de moins que l'estimation qui m'avait servi à calculer mon pourcentage. Bref, mon pourcentage baissait, au lieu de remonter!

J'ai minuté le temps nécessaire à transférer les vêtements de la laveuse à la sécheuse et à placer sur des cintres les chemises qui ne vont pas dans la sécheuse (sauf pendant une minute pour les défroisser, minute que j'ai rentabilisée en partant une nouvelle brassée) et je me suis retrouvé avec un total encore un fois un peu moindre que ce que j'avais estimé, soit sept minutes et 20 secondes au lieu des dix minutes initialement estimées. Je n'ai même pas soustrait les secondes perdues à uriner au cours de cette tranche de travail. Or, je faisais baisser ce pourcentage encore une fois, au lieu de le remonter.

J'ai commencé à m'inquiéter. Mais si mon calcul donnait un résultat si bas, c'était sûrement simplement que j'avais oublié des activités. Il est de ces activités ménagères qui se font machinalement, sans qu'on n'y pense. Je me suis dit qu'il y avait tout bonnement des tâches que j'avais omises dans mon calcul.

J'ai revu ma journée dans ma tête, comme un skieur qui visualise la piste avant une course, sauf que moi, c'était dans mon passé, pas dans mon futur. J'ai fermé les yeux. J'ai tout vu: le lit à faire, les oreillers à fluffer, le contour du lavabo à essuyer, la robinetterie de la salle de bain à astiquer (voilà un exemple de tâche machinale), la douche à rincer, la vitre mouillée à passer au squeejee, le «douche fraîche» à vaporiser, le tapis de salle de bain à replier en trois, les gouttes d'eau sur le plancher à assécher grâce à un linge, ce linge à placer dans le panier à linge sale, les portes à ouvrir et à refermer, les tiroirs, les objets à enligner, tout, tout, tout. J'ai tout visualisé.

Bon. J'avais en effet négligé quelques tâches dans mon calcul, mais que des petites tâches qui ne prennent que de 5 à 45 secondes à accomplir, tout au plus. Il n'y avait pas de quoi pallier à mes précédentes évaluations exagérées.

Il y avait pire: je me suis rendu compte que dans mon calcul initial, j'avais intégré des tâches qui ne sont pas réellement quotidiennes, comme toutes ces journées où je ne mange pas à la maison et qui ne me demandent aucune vaisselle à faire, à rincer ou à placer au lave-vaisselle. J'avais cependant inclus, au pro rata, certaines tâches évidemment occasionnelles, comme le lavage des vitres (une fois par mois - je suis négligé, c'est incroyable!), en divisant pour obtenir le temps réel quotidien consacré à ces activités. J'avais sans doute encore une fois arrondi à la hausse, en tenant compte qu'il y a 30 jours par mois et non 30,4375 en moyenne. Rien n'avait été oublié. Et mon résultat ne s'améliorait pas.

5,49% de mon temps, c'est quoi, au juste? C'est rien. Il me reste bel et bien 94,51% (ou plus encore) de temps pour tout le reste. Cette constatation me donne le vertige. Où vont ces précieuses minutes? Je les utilise à quoi, au juste? Comment se fait-il que, dans mon cerveau, un maigre 5,49% de ma vie semble prendre tant de place?

Je vous l'ai dit: ça fait presque peur.

vendredi 17 septembre 2010

La vie sexuelle des objets

Tapis dans l'ombre de leurs habitats naturels, tels que les garde-robes, les placards, les armoires, les tiroirs, les coffres et autres contenants, les objets de notre quotidien passent le plus clair de leur temps à attendre. En effet, ils se terrent, aux aguets, en espérant un jour voir la lumière et enfin être manipulés par nous, les humains. Pendant cette attente, on pourrait croire que ces objets quotidiens restent complètement immobiles. On serait portés à croire que ce n'est qu'en notre présence qu'ils s'épanouissent; que sans nous, ils ne font que gésir, impassibles. Rien n'est plus faux.

En effet, il existe une face cachée à toutes ces choses qui nous entourent: vêtements, papiers, objets souvenirs, babioles, outils divers ou plats Tupperware variés. Est-ce par timidité, par honte ou par simple besoin d'intimité? Les objets sont des créatures mystérieuses. Très peu d'humains ont eu la chance de les observer dans leur quotidien, à eux. Chose certaine, c'est qu'il aura fallu beaucoup de doigté à notre équipe de chercheurs pour avoir le privilège de scruter enfin cette vie énigmatique.

À l'aide de caméras ultra modernes, résultats des plus grands progrès de la miniaturisation, nous avons pu capter des moments surprenants. Nos constatations expliqueront peut-être enfin plusieurs phénomènes étranges dont ont été témoins tant de gens. Du moins, nous l'espérons.

En effet, nous avons découvert ce fait aussi captivant qu'étonnant: les objets passent le plus clair de leur temps, lorsqu'ils ne sont pas en présence d'humains, à des rituels de séduction singuliers et à des activités de reproduction effrénées. Ainsi, nous avons eu l'honneur d'être témoin de l'acte sexuel d'une série d'objets qui, jusqu'à récemment, nous semblaient dénués de tout désir sexuel.

Les t-shirts se multiplient à un rythme comparable à celui d'animaux comme les lapins, le saviez-vous? Dans le même ordre d'idées, les ustensiles de cuisine, dans la noirceur de leurs tiroirs, se reproduisent régulièrement et frénétiquement, à une vitesse exponentielle qui explique tant de débordements. Il faut voir les papiers de toutes sortes: factures, relevés bancaires, lettres officielles, dépliants publicitaires, mettre bas à une progéniture qui grandit à une vitesse effarante. Tous ces tiroirs de classeurs peuvent bien un jour déborder, tant toute cette paperasse a une libido incontrôlable. Qui n'a jamais vu une paire de souliers donner naissance à une autre paire de souliers ne pourra jamais vraiment saisir pourquoi les placards d'entrée de la plupart des foyers s'encombrent à vue d'oeil. Les bottes font plus encore, ne se contentant pas de donner vie à des jumeaux, mais aussi parfois à des portées encore plus nombreuses. Hermaphrodites, les tubes de produits cosmétiques n'ont même pas besoin de partenaire pour accoucher de ces minuscules tubes, aussi appelés «échantillons», qui ont tôt fait de peupler les armoires de salle de bain les plus épurées. Le temps de gestation de la plupart des races de crayons et de stylos est si court qu'on comprend maintenant les racines des épidémies qui affligent les contenants les plus divers. C'est sans parler de ces obsédés sexuels que sont les pots de plastique.

Partout où l'être humain croit être en contrôle de la population d'objets de son quotidien, les objets entrent dans des danses lascives qui mènent inexorablement à des générations d'objets nouveaux-nés qui eux-mêmes ne tarderont pas à sentir l'appel du sexe.

Aucun type d'objet n'échappe à cette pulsion. L'instinct de survie de la race est un réflexe incontournable. La question surgit: intervenir en exterminant ou laisser la nature suivre son cours?

C'est une question qui restera sans réponse, jusqu'au jour où, peut-être, nous n'aurons plus le choix.

jeudi 16 septembre 2010

Un désordre, la nuit

La nuit dernière, je dormais et je cherchais à rehausser la qualité générale de mes rêves. J'essayais de créer des liens, de mieux contrôler les intrigues, d'épurer le fruit de mon «entertaintment system» nocturne. À ma grande déception, je n'y suis pas arrivé.

C'était décousu! Incroyable. je faisais des efforts, pourtant. Je tâchais de conclure chaque petite histoire, au moins, avant d'en commencer un nouvelle. C'est la base, il me semble? Mais même ce simple défi se voyait soldé par un échec. Les personnages n'avaient aucune constance. Ils se multipliaient, se dédoublaient, disparaissaient sans raisons valables, ils se transformaient, passant d'une identité floue à une autre. Les décors étaient sans intérêt, laissant toute la place à des détails insignifiants, sans démontrer de ligne directrice. Aucun dispositif central ne permettait de créer une unité entre les scénarios tordus qui défilaient. Les palettes de couleurs semblaient sortir du pire des magazines de rénovation bon marché. La tension dramatique, vraiment, était comparable à la lecture des cotes de la bourse, variations en moins. J'ai noté plusieurs invraisemblances: des accessoires qui se volatilisent selon l'angle de vue, des sons provenant des mauvais endroits, des ellipses incompréhensibles. C'était lamentable.

Tout ça venait-il réellement de mon cerveau? J'ai eu honte, en me réveillant. C'était indigne. Indigne de moi. Tous ces rêves sont mes créations nocturnes, que je me suis dit. Et je me suis trouvé mauvais. Sans aucun sens du drame. Confus, même. Pas même capable de raconter une histoire simple sans divaguer, tergiverser, hésiter ou me perdre dans des méandres inconstants, interminables, ennuyants.

Pire: je pense que je n'ai aucun talent d'acteur dans mes rêves. Je joue faux. J'en mets trop, ma voix craque. Mes expressions faciales sont inappropriées. On ne me suit pas dans mon parcours intérieur, tant je veux exprimer tout et son contraire, sans aucun sens du découpage ou de la précision. Physiquement, je n'ai aucun tonus. Je pense faire des efforts, pourtant, mais c'est comme si mon corps était engourdi. Je suis le pire cauchemar d'un professeur de mime corporel.

J'hésite à faire ce dernier aveu, mais, que voulez-vous, c'est comme ça: je rêve cabotin. Des pseudo histoires mettant en scène des pénis, de la nudité gratuite, de l'urination publique, des blagues faciles, en voulez-vous, en v'là. C'est à croire que mes rêves s'adressent à un public d'adolescents mâles de 14 ans. Pourquoi mon subconscient désire-t-il tant me divertir avec ce genre de désolantes sottises? Sais-t-il seulement à qui il s'adresse? Et moi, là dedans, je reste là, couché, sans réagir, impassible devant tant de nullité?!

Il y aurait un grand ménage à faire là-dedans, c'est sûr. Mais non: Môssieur Robert, il dort. Môssieur Robert, il dit ne pas avoir le contrôle là-dessus. Môssieur Robert, il rêve du n'importe quoi, n'importe comment.

J'aimerais tellement rêver les rêves que je mérite. Je ne sais pas, moi, des rêves plus ordonnés.

Les rêves de mes rêves, quoi.

mercredi 15 septembre 2010

Futur antérieur

Je me souviens des années 70. À cette époque, il n'y avait pas de place pour la nostalgie. On pensait au futur. On s'habillait futuriste, on se meublait futuriste, on construisait futuriste. Jamais on ne songeait au passé, au «bon vieux temps». Ce qu'on voulait, c'était du nouveau, du moderne. Fini, les vieilleries! On n'avait pas la tête constamment tournée vers le passé, comme de nos jours, afin de recycler nos meilleurs moments et tenter de les faire revivre.

Ahhh...

C'était l'bon temps.

mardi 14 septembre 2010

Tout nouveau, tout croche

Pourquoi à chaque fois que je m'habitue enfin à la présentation graphique d'une facture mensuelle, comme celle de mon compte Mastercard MBNA, par exemple, il faut qu'ils engagent un graphiste sans talent pour tout modifier? Pour me mélanger? Pour que je ne trouve plus les informations les plus essentielles comme le solde à payer? Pour gaspiller temps, énergie et papier? (Ce qui tenait sur une page en prend maintenant trois)...

«If it ain't broken, don't fix it», disent les anglos. J'étais très heureux, moi, avec l'aspect visuel de cette facture mensuelle. Ça me faisait même plaisir de payer ce qu'il fallait. D'un coup d'oeil, je repérais les seuls éléments qui m'intéressaient et je payais mon dû. Avec le sourire.

Aujourd'hui, je découvre un logo trop près du bord de la feuille, un solde écrit tout petit, sous un montant minimum dû en caractère gras. Ils veulent arriver à quoi, avec ce manège? Que je confonde les deux chiffres et que je paie l'intérêt? D'ailleurs, je ne sais même plus où cette information est cachée. L'apparence générale fait complètement désordre. Il y a des espaces mal utilisés. Le rendu est approximatif. Où existait autrefois une certaine clarté, triomphe maintenant la confusion.

J'aimais ça, moi, le logo à droite. Quand je rangeais ces documents, toujours du même sens (le haut de la page à gauche et le texte se lisant de bas en haut, bien entendu), je voyais dépasser «MBNA». Ça faisait propre. Maintenant, cet instructif acronyme se retrouve coincé dans le pli de la chemise format lettre qui regroupe mes comptes de carte MBNA. Ça fait brouillon. C'est étouffant. Tout est gâché.

De telles choses ne devraient jamais arriver. Ils auraient pu me consulter, non? S'ils avaient insisté, je leur aurait au moins expliqué que ce genre de modifications esthétiques doit se faire début janvier. C'est la moindre des attentions. Comme ça, au moins, l'année complète répond aux mêmes paramètres. Si ça avait été si important pour eux, j'aurais même pu les aider un peu. Suggérer une façon d'insuffler un certain minimalisme. Rafraîchir les polices. J'aurais fait ça pour eux, moi. Le savent-ils seulement? Gratis, à part ça.

Aucun solde, aucun paiement minimum, rien.

lundi 13 septembre 2010

Contenants sibyllins

Si la tendance se maintient, on est dans la merde jusqu'en 2032.

Oui, c'est vrai, nos vies deviendront plus faciles en 2013, mais juste un peu. Cette paix devrait durer 68 ans, ce qui n'est pas si mal, mais que les générations futures se le tiennent pour dit: la merde reviendra, inévitablement.

J'étais à l'épicerie, aujourd'hui, et je bouillonnais de rage, mais aussi de tristesse et d'impuissance, devant cette constatation. Dans l'allée des fruits et légumes, pourtant, tout allait bien. J'avais les outils pour vivre ma vie sereinement, usant de ma vision, mon odorat, mon sens du toucher. C'est dans la section des jus en boîte que ça a commencé, pour culminer dans les produits laitiers.

«10 - 12 - 10», que c'était marqué. Devais-je comprendre que ce jus d'orange allait passer date, comme on dit, le 10 décembre 2010, le 12 octobre 2010 ou le 10 octobre 2012? Comment pouvais-je bien exercer mon droit de consommateur et vérifier la date de péremption de produits que j'allais ingérer par la suite? Impossible. Non, et vous savez pourquoi? Je vous le donne en mille: parce qu'il n'y a jamais personne qui a osé réglementer dans quel ordre on devait écrire une date. Les pays du monde entier veulent faire à leur tête, refusant de se soumettre à une quelconque loi mondiale qui pourrait pourtant nous apporter tant de paix. Dans un contexte de mondialisation, où notre pinte de lait peut bien nous parvenir du Pakistan, c'est désolant.

Il semble exister une lubie incompréhensible chez les producteurs d'aliments périssables qui les rend frileux à écrire l'année au complet. «2010», ça gaspille tellement plus d'encre que «10»? C'est absurde. Ces gens sont-ils pingres ou environnementalistes à ce point? Je n'ose même pas leur suggérer d'écrire les mois en lettres (même des abréviations me conviendraient), de peur de créer un scandale.

Bien sûr, il est possible de deviner, de juger selon des critères imprécis comme le pays de provenance du produit (Mais où cette date a-t-elle vraiment été imprimée?), comme un semblant de logique qui me fait croire qu'un jus d'orange ne pourra jamais rester frais pendant plus de deux ans, comme la gueule de l'épicier (A-t-il l'air louche? Honnête? Semble-t-il vouloir passer du vieux stock en le plaçant devant les nouveaux arrivages? Mystère...), comme certains détails graphiques (Un lettrage démodé, par exemple), comme le fait que des parasites trottent ou ne trottent pas près de la tablette. Mais pourquoi faire tant de place au hasard lorsqu'il est si simple d'être clair?

Heureusement, en 2032, nous pourrons souffler un peu, à partir du 13 de chaque mois. Nous célébrerons, probablement. Ces jours deviendront, en quelque sorte, sacrés. Nous pourrons consommer en toute quiétude. J'ai hâte.

Parce que moi, du fromage cottage qui est «meilleur avant le 10 - 11 - 12», ça commence à me dégoûter au moins cinq jours avant.

dimanche 12 septembre 2010

Un monde meilleur

Il y a quelque chose qui me dérange depuis longtemps, mais jamais je n'ai osé en parler. Je vous entends penser, vous vous dites «bon, voilà encore Robert qui va nous parler de quelque chose d'insignifiant, comme des bouchons de savon à lessive trop gommés de savon qu'aucun autre savon n'arrive à nettoyer, ou du mauvais design de la majorité des fourchettes à dessert de la planète qui ressemblent bien trop à leur grandes soeurs fourchettes pour permettre un classement efficace au premier coup d'oeil» et, bien que je ne serai pas en total désaccord avec vous, je vous répondrai qu'il m'arrive aussi parfois d'avoir une vision plus globale et plus essentielle de la vie.

Le sujet qui me brûle les lèvres depuis trop longtemps nous affecte à tous les jours. C'est un fléau qui nous afflige sans raison. Nous possédons tous les outils pour éviter le désastre et, pourtant, nous n'agissons pas. Partout, autour de nous, se trouvent des textures inutiles, qui n'ont pour but que d'abriter crasse, poussière et bactéries.

Il y eut un temps où l'être humain n'avait pas le choix. Les objets de son quotidien étaient fabriqués avec les matériaux imparfaits de son environnement: de la pierre crevassée, du bois granuleux, de la terre cuite poreuse et tant d'autres matières primitives. Les exigences de propreté, «heureusement», étaient alors tout aussi perméables aux imperfections. Étrangement, l'espérance de vie à cette époque était moins courte et une vie bien remplie pouvait même se passer d'articles aussi essentiels qu'une brosse à dents. Mais, disons-le, nous avons évolué.

L'acier inoxydable existe, maintenant. Depuis 1904, même. Le sable salissant et râpeux est transformé en verre lisse et transparent depuis des siècles. On trouve de merveilleuses nouvelles textures dans tant de produits de silicone, de plastique et autres polymères synthétiques. Avec ces matières (il en existe d'autres), il est possible de créer des objets lisses, hygiéniques et faciles à nettoyer. Bien sûr, il faut éviter d'usiner ces matériaux à mauvais escient, en leur imposant (grâce à divers procédés de moulage, par exemple) des textures crevassées, rainurées, martelées ou que sais-je encore. Pourquoi toutes ces textures, au fond? Pour nous obliger à frotter, frotter, frotter?

«I had a dream», disait l'autre. Eh, bien, moi aussi. Le rêve d'un monde plus lisse, moins poreux. Aujourd'hui j'observe, sur mon écran plat (et lisse), le discours du Président de nos voisins du sud et je me rappelle que, oui, c'est possible. Yes, we can. Sans idéaux, que sommes-nous? Sans rêves, nos vies méritent-elle vraiment d'être vécues?

Attention, je ne désire pas ici tout uniformiser sans raison. De toutes façons, pour conserver la diversité dans notre monde, avons-nous réellement besoin de toutes ces textures quand tant d'autres outils modernes sont à notre disposition? Il y a bien les couleurs, par exemple.

Mais, de grâce, évitons certaines teintes de turquoise et de rose cendré.

samedi 11 septembre 2010

Faire preuve de fermeture

Un peu de sérieux.

Il est grand temps qu'on s'attarde ici, en ces modestes pages, à un sujet dont les médias n'osent traiter. Est-ce par peur? Par paresse? À cause de ce bâillon qu'est le politically correct, qui nous empêche de brasser les vraies affaires? Il faut crever l'abcès, même si ça risque de faire mal. La loi du silence ne peut plus durer. Elle nous mènera à notre perte. Nous avons une responsabilité d'agir afin de faire de notre monde un monde meilleur. Alors, je vous en prie, écoutez-moi bien: fermez donc, une fois pour toutes, tous ces tiroirs laissés ouverts!

Oui, oui, vous m'avez bien compris. Vous vous reconnaissez, j'en suis certain. On est pressé, on se brosse les dents, et on quitte la maison en laissant le tiroir à côté du lavabo grand ouvert. La salle de bain en reste défigurée, impuissante. Les tiroirs de cuisine, aussi, sont la cible de cette honteuse négligence. Qui n'a pas un jour répondu au téléphone pour oublier aussitôt que le tiroir à ustensiles était resté ouvert? Comment vivre dans de pareilles conditions? Dans les chambres à coucher (celles des adolescents sont les pires - c'est un cliché, mais que voulez-vous, c'est comme ça), on ne peut que constater le fouillis général, ponctué de tiroirs de commodes mal fermés, qui laissent même parfois s'échapper des vêtements mal pliés. Sommes-nous des animaux? C'est sans parler des tiroirs de classeurs, jusque dans les bureaux les plus chics, qui laissent voir tous ces papiers, tous ces documents, qui eux n'ont pourtant jamais demandé à polluer visuellement notre univers. George Orwell avait prédit pour nous bien des horreurs, mais, celles-là, jamais.

Il y a pire. Un tiroir, ça reste petit. C'est rarement situé à la hauteur des yeux. Mais on tombe parfois encore plus bas. Et plus haut. Certaines personnes indignes vont même jusqu'à laisser portes d'armoires et portes de placards béatement ouvertes après y avoir extrait quelconque assiette, balai ou chemise. Pourquoi tant de violence?

Après ça, on se gargarise d'idéaux. On parle politique, environnement, droits humains. On recycle machinalement nos cannes de thon en se disant qu'on fait notre part. Comment peut-on rester aveugle à ce point? De quel droit? Comment un habitant de notre planète peut-il sérieusement se vanter d'agir de façon responsable alors qu'il vient tout juste de suspendre son manteau dans un placard d'entrée en en laissant la porte impunément ouverte? «Pornographie!», je crie. Pornographie.

La technique de la porte accordéon est-elle si difficile à maîtriser? Une coulisse de tiroir, ça ne sert qu'à ouvrir, peut-être? Si vos portes d'armoires ne méritent plus d'être refermées immédiatement après avoir sorti la vaisselle nécessaire, est-ce parce que le contenu de vos armoires est à ce point esthétiquement classé? Mensonge! Mensonge.

Ouvrez les yeux, je vous prie. Et désormais, refermez bien tout ce que vous ouvrez.

vendredi 10 septembre 2010

Tomber à plat

Je suis en deuil. C'est fou, mais c'est qu'on peut s'attacher à vraiment n'importe quoi. Même à une banale photo de contenant Tupperware de marque Rubbermaid. Quatre semaines avec une même photo, ça marque. Mais je dois regarder vers l'avenir.

J'ai pensé vous faire une blague. Commencer une série avec le mot «plat» et une photo de plat, toujours la même, mais transformée, pendant quatre semaines. J'avais: «les pieds dans les plats», «ne pas en faire tout un plat», «écran plat», «passe-plat», «sous-plat», «plat de résistance», «plat du jour», «oeufs sur le plat»... Ce n'était pas les idées qui me manquaient. Mais j'ai ressenti quelque chose qui ressemble à un croisement entre l'auto-censure et la culpabilité.

C'est triste, au fond, l'auto-censure. On présume de ce qui ne devrait pas être exprimé, sans pourtant consulter ceux qui recevront le message. Peut-être que les autres sont capables d'en prendre plus qu'on ne le croit? Ici, j'irais bien d'une métaphore pour appuyer mon affirmation, mais la seule qui me vient à l'esprit ne me semble pas d'assez bon goût. Alors je m'abstiens. Dommage, hein?

La culpabilité, c'est pas tellement plus utile et, au fond, ça ne sert à rien. Vous voyez, j'avais omis le «ne» (ou plutôt le « n'») dans «c'est pas tellement utile» et je me suis senti coupable. Alors, je me suis forcé à inclure le «ne» dans «ça ne sert à rien», ce qui donne une phrase inconséquente, qui commence dans un niveau de langage et qui se termine dans un autre niveau de langage. La culpabilité, non seulement ça ne répare pas les erreurs passées, mais en plus, ça rend inconstant.

Quand l'auto-censure et la culpabilité forniquent ensemble, ça ne peut donc pas donner de résultat vraiment créatif. C'est décevant, je sais.

Ça tombe... à plat. N'est-ce pas?

jeudi 9 septembre 2010

Organiser un pot

Bon. Enfin.

Ah, oui, peut-être que vous ne le saviez pas, mais c'est aujourd'hui que se termine la série «Pots». Je m'étais promis quatre semaines entières et voilà, c'est fait. Célébrons. Organisons un pot!

«Organiser un pot», c'est une expression que j'ai d'abord hésité à utiliser. J'avais, en effet, déjà utilisé l'expression «prendre un pot», qui est similaire. Mais ce n'était pas le sujet principal, cette journée-là. C'était il y a quelques semaines, alors que je traitais de l'épineux sujet des «pots de vin». Il demeure que j'ai hésité. Mais, honnêtement, il ne me restait plus beaucoup de choix. J'avais dans ma banque d'expressions potières «Crock pot», cet article de cuisine tellement à la mode dans le 450 ou dans Mile-End, mais j'avais déjà parlé de «Hot pot» et je trouvais que ça manquait de modulations. Il me restait aussi «Plante en pot», mais ça me semblait plutôt, disons, statique, comme sujet. J'avais «Pot catalytique», aussi, mais vous savez, moi, les autos, ça ne me dit pas grand chose.

Alors, j'y ai repensé. «Organiser un pot». Il y avait là non seulement le nom de mon contenant du mois, mais aussi le mot «organiser»... Mon activité préférée! Comment avais-je pu ne pas voir cet élément? D'un coup, dans mon esprit, tous les mauvais traitements Photoshop impliquant l'inévitable trou au centre de mon pot fétiche, rempli de bière mousseuse, se sont effacés. Car si on pouvais «organiser un pot», on pouvait encore mieux en organiser plusieurs! Bien alignés, comme j'aime.

En moins de temps qu'il ne faudrait à une pute pour faire jouir un automobiliste dans une ruelle passante, j'avais concocté mon dernier traitement Photoshop, à coups de «copier/coller». C'est inspirant, hein? On dirait une armée de pots Tupperware de marque Rubbermaid. C'est donc beau, plusieurs pots en rangs bien droits. C'est l'avantage de la récurrence: ça permet de classer, d'aligner, d'organiser. C'est le bonheur. Encore meilleur qu'une bière entre amis.

Mais, voici, cette série récurrente est maintenant terminée. Je ne sais pas ce qui nous attend demain, mais...

Il n'y a pas de quoi en faire «tout un plat».

mercredi 8 septembre 2010

Poule au pot

«Le consommé parfait»: c'est pas beau, ça, comme slogan? Les publicités n'étaient-elles pas plus efficaces autrefois que maintenant? Elles allaient droit au but, avec une retenue exemplaire. Vous cherchiez le consommé parfait? Voilà, vous aviez trouvé. On ne se compliquait pas trop la vie, avant. La simplicité était à l'honneur. On faisait du «less is more».

C'est bizarre, normalement, les choses, avec le temps, vont en se simplifiant, en s'épurant. Pourquoi la publicité échappe-t-elle à cette règle? Pourquoi toutes ces campagnes publicitaires qui pèchent par excès et qui tombent inévitablement dans l'over design?

J'étais dans le métro, aujourd'hui. Savez-vous qu'il ne reste plus un seul centimètre carré qui n'est pas commandité? La publicité est partout, dans chaque recoin. Elle déborde des cadres prévus pour l'affichage. Elle court partout, comme une moisissure qui nous aveugle de ses couleurs tonitruantes, ses accumulations d'images (soumises à un traitement choc signé Photoshop), son graphisme toujours plus envahissant. Devant les urinoirs, collée au plancher, au plafond, sur les murs, sur les tourniquets, coincée de force sur toutes les contre-marches de tous les escaliers, sur la brique, sur le béton, sur les vêtements, partout, partout, la publicité nous incite à consommer. Et, le pire, c'est qu'elle se croit maligne, la pub. Elle se croit raffinée et subtile. Pourtant, elle splashe partout, elle crie, elle hurle, elle a autant de retenue qu'une drag queen saoule dans un party de militaires en manque.

Je n'arrive pas à croire que cette approche soit efficace. Pourquoi ce trop? Un iPod, par exemple, c'est pratique et bien fait. J'en aurais un même si on ne m'aveuglait pas avec des affiches affreuses plus grandes que des terrains de football collées sur les tuiles vintage du métro Berri. C'est absurde.

Qu'on revienne à une approche plus discrète et je continuerai à consommer, promis.

Croyez-moi. Je suis «le consommateur parfait».

mardi 7 septembre 2010

Hot pot

En Chine, on mange parfois des «hot pot», qui ne sont ni plus ni moins que de grosses soupes à mottons qui trônent au centre de la table tandis que tous les convives se battent pour piger dans un même bouillon les meilleurs morceaux. Bref: «comme c'est donc bon manger la salive des autres». Moi, ça m'écoeure. Franchement, je n'ai rien contre ma grand-mère, mais ai-je vraiment envie d'absorber, en même temps qu'un bout de concombre de mer gluant, les microbes qui se cachent entre son dentier et ses gencives dégarnies? La réponse est non. Désolé, mémé.

Les habitudes alimentaires des habitants de notre planète sont vraiment répugnantes, quand on y pense. Toutes ces histoires de potées pâteuses mangées avec la main gauche (parce que c'est avec la droite qu'on essuie son derrière - ou est-ce l'inverse?), moi, ça me donne froid dans le dos. Tous ces verres partagés, tous ces aliments laissés à l'air libre comme des cibles pour les excréments des mouches, toutes ces fourchettes lavées à l'eau froide, toutes ces trempettes, tous ces corps étrangers (parfois invisibles à l'oeil nu - mais tout de même présents), moi, j'en grimace de dédain.

N'allez pas croire que je suis un extrémiste. Non, non. La preuve: il m'arrive même parfois de manger avec mes doigts. Des bâtonnets de céleri, par exemple. Comprenez-moi bien: MES doigts. J'ai, en effet, entendu parler à ce sujet de la coutume qui veut qu'en Éthiopie, la première bouchée d'un repas soit enfoncée dans notre bouche par les doigts crottés de notre hôte. Expliquez-moi la logique là-dedans. Après ça, demandez-vous pourquoi on meurt de faim dans ce pays.

Bon, bon, calmez-vous. Oui, j'en mets un peu. Que voulez-vous. J'ai grandi dans cette grande partie du globe (où ne vit en fait qu'une petite proportion des habitants de notre Terre) où on aseptise tout. On cuit les aliments sur une cuisinière propre, nous. Pas emballés dans des feuilles ramassées là où pissent les chiens, sur une braise poussiéreuse et salissante. La viande que je mange n'a jamais touché à un animal de sa vie, moi, mais seulement à sa barquette en styromousse. Mes légumes sont lavés, rincés et essuyés (il existe même un savon pour légumes - le saviez vous?). La laitue que j'achète a été «lavée trois fois». C'est écrit en toutes lettres sur la boîte. Et que pensez-vous que je fais avant de me faire une salade? Eh, oui. Je lave une quatrième fois, juste au cas.

«Mais Robert, tu n'es pas en contact avec les éléments, avec les fruits de la terre» et gna-gna-gna, répondez-vous. Peut-être.

Mais moi, je laisse la salive de ma grand-mère tranquille.

lundi 6 septembre 2010

À plein pot

La vie est une course. Chaque jour nous apporte 86 400 secondes (oui, je sais, ça ferait tellement plus chic d'en avoir un chiffre rond, comme 100 000, par exemple, mais tel n'est pas mon sujet d'aujourd'hui) et nous devons faire entrer, parfois de force, toutes nos activités dans chacune d'entre elles. Peu importe combien nos attentes peuvent baisser, le temps nous manque. Tout le temps.

Ce matin, je m'étais pourtant planifié une journée pas trop remplie. Un peu de lavage, comme à tous les jours. Vider le lave-vaisselle. Faire une promenade. Régler quelques trucs pour demain. Regarder une partie de la journée spéciale de l'émission Hoarders en rafale sur TLC. Manger. Faire quelque chose avec cette pâte à pizza avant qu'elle ne moisisse au fond du réfrigérateur. Des trucs vraiment pas trop stressants, vraiment.

Malgré tout, j'ai réussi à sentir en moi cette course effrénée qu'est la vie. Je regarde le temps passer et il ne doit pas être exhibitionniste, le temps, parce qu'il passe vite, très vite. Il ne veut pas qu'on le voie passer, on dirait. D'ailleurs, tiens, le lit n'est pas fait et le matin est déjà loin. Je devrai insérer cette tâche d'ici la fin de la journée. Juste avant de me coucher, peut-être.

La vie à plein pot, ça a quelque chose d'excitant, mais c'est pas aussi un peu essoufflant? Y a-t-il des trucs pour ralentir la cadence? Si oui, quels sont-ils? Vais-je y arriver un jour? Quand? Bientôt (car le temps passe)? Et si je réussis à freiner cette accélération, qu'est-ce qui va m'arriver, au fait? Est-ce que je vais finir par trouver ça plate? M'ennuyer? Regretter le bon vieux temps? Je vais peut-être me mettre à chercher des passe-temps? Les casse-tête 1000 morceaux ou les collections de timbres? Au fait, ça ralentit le rythme, ça, des passe-temps ou ça fait l'inverse? Tant de questions! Tant de questions...

Et si peu de temps.

dimanche 5 septembre 2010

Faire sur le pot

Franchement, il y a des limites à ce qu'on peut dévoiler. Des fois, c'est mieux de se contenir (à propos de certains sujets).

Vous trouvez pas?

samedi 4 septembre 2010

Pot de beurre

Moi, même enfant, je n'ai jamais trouvé ça difficile réciter cette comptine:

Petit pot de beurre
quand te dépetit pot de beurreriseras-tu?
Je me dépetit pot de beurreriserai
quand tous les pots de beurre
seront dépetit pot de beurrerisés.

Je ne vois vraiment pas où est le défi et je ne l'ai jamais vu.

Une autre chose que je n'ai jamais vu, enfant ou adulte, c'est du beurre vendu en pot. Et j'ai toujours déploré cette impardonnable erreur de marketing de la part des producteurs de beurre. Ce papier argenté qui déchire, ils appellent ça un contenant? Pas moi. C'est difficile à déballer, on en retrouve des petits bouts arrachés mêlés au beurre étendu sur notre pain, c'est impossible à refermer sans se «beurrer» les doigts, c'est non hygiénique... Une horreur. C'est même pas attrayant dans un comptoir de produits laitiers. Vraiment, je ne comprends pas ce choix.

Pourquoi avoir dépetit pot de beurrerisé tous les pots de beurre comme ça?

Producteurs de beurre, tenez-vous le pour dit: il ne s'agissait que d'une comptine idiote.

Pas d'une menace à prendre au sérieux.

vendredi 3 septembre 2010

Pot de colle

Moi, il y a une chose qui m'influence énormément, c'est la marque d'un produit. Je sais, je ne devrais pas. Toutes les marques se valent souvent et dans une même usine, dit-on, on peut produire diverses marques avec les mêmes ingrédients, les mêmes méthodes. Je sais tout ça. Mais cette manie me colle à la peau depuis que je suis tout petit.

Avez-vous déjà mangé des Froot Loops d'une marque peu réputée? C'est trop dur quand ça tombe de la boîte, trop mou passé une minute dans le lait. Le goût rappelle le carton. Je ne sais pas ce qu'ils font à l'usine de Froot Loops de marque sans nom, mais on dirait qu'ils se forcent pour que les «Anneaux de céréale fruités» soient plus mauvais que les Froot Loops originaux. Après ça, on essaie de me faire croire que les marques, ça ne compte pas.

En fait, moi, juste à voir le logo d'une compagnie, je peux juger si le produit est bon ou non. Il y a des détails qui ne mentent pas. Par exemple, si le logo comporte trop de couleurs en même temps, le produit ne sera pas de qualité. Le disque dur sera impossible à installer. La moppe perdra ses poils. La colle séchera dans son pot avant même qu'on l'apporte du magasin vers la maison. C'est comme ça.

Une typographie trop joufflue est gage d'un produit qui se brisera dans les trois mois suivants. Une typographie de style «calligraphie», trop penchée vers la droite (comme en italique), annonce un produit dépassé. Des lettres angulaires promettent un produit fiable, mais sans surprises. Lorsque le lettrage a un contour d'une couleur contrastante, avec un effet de relief, dites-vous bien qu'il y a une raison pour laquelle vous n'avez pas payé cher pour ce produit. L'emploi du violet, pour la nourriture tout particulièrement, cache une production qui ne respecte pas l'environnement. Le blanc est signe de qualité, surtout contre du noir ou du gris, mais pas sur un fond rose. Une lettre remplacée par un petit dessin peut être un bon signe, mais ne vous attachez pas trop à ce produit, il sera discontinué pour des raisons inexplicables avant longtemps. Toute utilisation de signes de ponctuation hurle clairement: «n'achetez pas ce produit qui soit sent mauvais, goûte mauvais ou n'est pas agréable au toucher». Un mot encerclé, à moins d'être le seul mot composant le nom du produit, représente un produit prétendument amélioré, mais qui fonctionne pourtant moins bien qu'avant. Méfiez-vous du brun, surtout s'il y a une fausse texture de bois: il manque un ingrédient important, ou une pièce essentielle. Un animal se cache derrière le lettrage? Passez au produit suivant: vous n'avez pas six ans. Passé trois mots, le nom de votre produit crie l'excédent de stock (les entrepôts en Chine sont pleins à craquer et il y a une raison pour cela). D'un autre côté, si le nom du produit n'a que trois lettres ou moins, vous avez affaire à de la qualité (sauf s'il y a des points entre chacune des lettres). Un effet d'ombre vous assure qu'il y a quelque chose en trop: trop de calories, trop de morceaux faciles à perdre, trop de cholestérol). Vous décelez une forme vaguement phallique (derrière le lettrage, ou, pire, dans une lettre suspecte un peu transformée) et vous n'avez pas besoin de ce produit qui risque d'accumuler de la poussière tant il ne vous servira jamais. Du doré, sauf pour le chocolat ou les montres, est un signe clair que vous risquez de tomber sur ce même produit pour la moitié du prix une fois que vous l'aurez acheté. Le logo se découpe sur une forme de losange ou de trapèze? Ce produit vous rendra agressif pour une raison ou une autre que vous découvrirez après la première ou la seconde utilisation (les losanges orangés sont les plus toxiques). Toute présence des lettres K, H ou Q est suspecte, surtout en majuscules et, franchement, vous méritez mieux.

Je pourrais continuer comme ça pendant longtemps. Les marques, sans importance? I don't think so. Je vous le dis: pour bien consommer, il faut bien observer les étiquettes.

Et si l'étiquette décolle, fuyez ce produit immédiatement.

jeudi 2 septembre 2010

À la fortune du pot

C'est donc compliqué recevoir à la bonne franquette. Vous trouvez pas? La table mise à la dernière minute, les plats sans cérémonie, la vaisselle dépareillée, l'atmosphère détendue... Tout ça me stresse énormément.

Je recevais à souper, hier soir. «À la fortune du pot», comme on dit. Rien n'était préparé d'avance. Du moins, rien ne semblait préparé. En effet, pour réussir un repas «improvisé», il faut beaucoup de préparation. Les épices et fines herbes «ajoutées à la dernière minute» doivent être sélectionnées et placée à l'avant du tiroir. Le réfrigérateur doit afficher une mine de «Voyons voir ce qu'il y a là-dedans», ce qui signifie des emplettes furieusement planifiées, faites d'avance, pour arriver à la fameuse phrase: «Tiens et si je faisais une omelette aux pommes de terre?». Chaque détail devra sembler soigneusement improvisé.

Dépareiller de la vaisselle, chez moi, est un réel tour de force. Je dois puiser dans le fin fond des armoires de cuisine pour arriver à ce look détendu qui mettra tout le monde à l'aise. Sans une préparation subtile et raffinée, c'est impossible d'y arriver. L'apparence de fouillis, c'est ce qui représente le plus gros défi en design.

Les tâches qui seront distribuées auprès des invités, elles aussi, méritent qu'on s'y attarde. Autrement, c'est l'anarchie. «Tu me couperais ces carottes en rondelles de neuf millimètres?» est une phrase qui, lors d'un repas à la bonne franquette, peut causer un froid. Il faut donc user de ruse. Couper au préalable une partie des carottes de la bonne épaisseur, réserver, et lancer un spontané: «Tu finirais de couper les carottes?», en souhaitant que la personne choisie saura suivre le bon exemple et poursuivre avec la bonne épaisseur, ce qui est loin d'être garanti.

Ce genre de repas nécessite aussi beaucoup de concentration. Il faudra animer une conversation, s'assurer que tout le monde a de quoi à boire et afficher un air débonnaire PENDANT des activités qui normalement demande toute notre attention: essuyer des couteaux, faire une vinaigrette, s'assurer que les pelures de pomme de terre arrivent bien à bon port dans la poubelle, sans toucher aux rebords ni au couvercle.

Lorsque le repas est enfin servi, il faudra faire abstraction des gouttes de soupe sur le pourtour du bol. Il faudra fermer les yeux devant la présentation approximative (des brindilles de persil variant tant en grosseur qu'en position d'assiette en assiette, par exemple). Il faudra apprécier la «touche personnelle» de ce nouvel invité, qui n'a vraiment aucun sens de l'harmonie des saveurs. Il n'est pas prêt à être réinvité, celui-là. Tout cela se passera avec le sourire, au son d'une musique choisie à l'aveuglette, en regardant la vaisselle sale s'accumuler sur le comptoir alors qu'il est si simple de la diriger vers le lave-vaisselle au fur et à mesure. Une soirée épuisante, je vous le dis.

Ceux qui arrivent à recevoir de cette manière, vraiment, ont toute mon admiration. Je leur lève mon verre, sans négliger de le reposer sur la table dans sa position originale, bien enligné avec le verre à eau.