vendredi 17 septembre 2010

La vie sexuelle des objets

Tapis dans l'ombre de leurs habitats naturels, tels que les garde-robes, les placards, les armoires, les tiroirs, les coffres et autres contenants, les objets de notre quotidien passent le plus clair de leur temps à attendre. En effet, ils se terrent, aux aguets, en espérant un jour voir la lumière et enfin être manipulés par nous, les humains. Pendant cette attente, on pourrait croire que ces objets quotidiens restent complètement immobiles. On serait portés à croire que ce n'est qu'en notre présence qu'ils s'épanouissent; que sans nous, ils ne font que gésir, impassibles. Rien n'est plus faux.

En effet, il existe une face cachée à toutes ces choses qui nous entourent: vêtements, papiers, objets souvenirs, babioles, outils divers ou plats Tupperware variés. Est-ce par timidité, par honte ou par simple besoin d'intimité? Les objets sont des créatures mystérieuses. Très peu d'humains ont eu la chance de les observer dans leur quotidien, à eux. Chose certaine, c'est qu'il aura fallu beaucoup de doigté à notre équipe de chercheurs pour avoir le privilège de scruter enfin cette vie énigmatique.

À l'aide de caméras ultra modernes, résultats des plus grands progrès de la miniaturisation, nous avons pu capter des moments surprenants. Nos constatations expliqueront peut-être enfin plusieurs phénomènes étranges dont ont été témoins tant de gens. Du moins, nous l'espérons.

En effet, nous avons découvert ce fait aussi captivant qu'étonnant: les objets passent le plus clair de leur temps, lorsqu'ils ne sont pas en présence d'humains, à des rituels de séduction singuliers et à des activités de reproduction effrénées. Ainsi, nous avons eu l'honneur d'être témoin de l'acte sexuel d'une série d'objets qui, jusqu'à récemment, nous semblaient dénués de tout désir sexuel.

Les t-shirts se multiplient à un rythme comparable à celui d'animaux comme les lapins, le saviez-vous? Dans le même ordre d'idées, les ustensiles de cuisine, dans la noirceur de leurs tiroirs, se reproduisent régulièrement et frénétiquement, à une vitesse exponentielle qui explique tant de débordements. Il faut voir les papiers de toutes sortes: factures, relevés bancaires, lettres officielles, dépliants publicitaires, mettre bas à une progéniture qui grandit à une vitesse effarante. Tous ces tiroirs de classeurs peuvent bien un jour déborder, tant toute cette paperasse a une libido incontrôlable. Qui n'a jamais vu une paire de souliers donner naissance à une autre paire de souliers ne pourra jamais vraiment saisir pourquoi les placards d'entrée de la plupart des foyers s'encombrent à vue d'oeil. Les bottes font plus encore, ne se contentant pas de donner vie à des jumeaux, mais aussi parfois à des portées encore plus nombreuses. Hermaphrodites, les tubes de produits cosmétiques n'ont même pas besoin de partenaire pour accoucher de ces minuscules tubes, aussi appelés «échantillons», qui ont tôt fait de peupler les armoires de salle de bain les plus épurées. Le temps de gestation de la plupart des races de crayons et de stylos est si court qu'on comprend maintenant les racines des épidémies qui affligent les contenants les plus divers. C'est sans parler de ces obsédés sexuels que sont les pots de plastique.

Partout où l'être humain croit être en contrôle de la population d'objets de son quotidien, les objets entrent dans des danses lascives qui mènent inexorablement à des générations d'objets nouveaux-nés qui eux-mêmes ne tarderont pas à sentir l'appel du sexe.

Aucun type d'objet n'échappe à cette pulsion. L'instinct de survie de la race est un réflexe incontournable. La question surgit: intervenir en exterminant ou laisser la nature suivre son cours?

C'est une question qui restera sans réponse, jusqu'au jour où, peut-être, nous n'aurons plus le choix.

1 commentaire:

  1. De l'impossibilité de l'impassible gésir des rêves de Robert à la réalité des objets

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