mercredi 29 septembre 2010

Akio (nom fictif)

Debout, au milieu de la cuisine, Akio regardait tout autour de lui avec curiosité. Des casseroles, des ustensiles, des bols à mélanger, de la vaisselle, des plats Tupperware et tant d'autres objets rendaient la vue du plancher quasiment impossible. Il devait bien y en avoir jusqu'à ses mollets. Tout était mélangé. Il y avait si longtemps qu'il avait voulu voir cette cuisine. On lui avait déjà raconté tant d'histoires qui s'y seraient déroulées, trois cents ans plus tôt.

Cette époque, il la connaissait comme s'il y avait vécu. Il avait absorbé tant d'informations sur ce début de millénaire et en avait perçu tant d'images grâce à la bio-intégration de données. Il pensait, en fait, tout connaître sur la vie des humains à cette époque, mais pour la première fois de sa vie, il se retrouvait dans un vestige de ce temps, dans un lieu qui semblait presque ne pas avoir évolué. Il mettait enfin les pieds dans la maison de ses ancêtres, dans ce qui restait de cette ville mythique qu'avait été New York.

Il regarda de près les objets sur le sol. C'était incroyable de voir à quel point aucun ne s'était complètement décomposé. Les liens bio-intégrés se faisaient à mesure qu'il se concentrait sur chacune de ces choses. Ceci était une casserole en acier inoxydable, alliage de fer et de carbone additionné de 12% de chrome en solution dans la matrice, matériau courant au 20e et 21e siècle jusqu'à la découverte de l'oxygène électropositif solide. Ceci était une tasse à mesurer, qui servait à la préparation des aliments. Ceci était une passoire en polyéthylène, commercialisé sous le nom de Tupperware vers la deuxième moitié du 20e siècle, qu'Akio connaissait déjà sous le nom de Twá. C'était incroyable. Tous ça avait déjà appartenu à la grand-mère de la grand-mère de la grand-mère de la grand-mère de sa grand-mère.

Alors que ses contemporains ne pensaient que rarement au passé, Akio, pour une raison qu'il ne s'expliquait pas, y songeait constamment. Ça le fascinait, toutes ces coutumes, l'extrême complexité de toutes ces choses qui maintenant n'existaient plus ou ne demandaient aucun effort. Alors qu'aujourd'hui, il n'avait souvent plus qu'à user de sa pensée pour que se matérialisent tant d'éléments essentiels à sa survie, il se disait que cette obligation du travail devait bien être très agréable.

Il songea à cette femme, décédée près de trois cents ans plus tôt, avec qui il partageait une histoire génétique, et tenta de se mettre à sa place. Il possédait toutes les informations afin de recréer mentalement son quotidien, jusque dans les moindres détails, s'il le désirait, mais il n'arriva pas à s'imaginer, lui, vivre cette vie. Malgré tous ses efforts, tous ses désirs et ce voyage physique dans l'endroit même où cette personne avait vécu, il ne resterait que spectateur.

Il envia cette femme, avec toutes ses limites et toutes ses contraintes. Il eut un dernier contact tactile avec cet univers, puis quitta ce secteur oublié.

De retour chez lui, il regarda la Terre et la trouva belle, sans humains. Mais avec, combien devait-elle l'avoir été encore plus?

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