lundi 8 février 2010

Conte satirique

En ce temps-là, la race humaine cherchait toujours à accumuler des objets, le plus grand nombre d'objets. En ce temps-là, les objets étaient réels, tangibles. Chacun avait sa fonction: des objets pour manger, des objets pour se déplacer, des objets pour construire, des objets pour écrire, des objets pour penser...

Un jeune homme de 75 ans (à cette époque, il aurait en fait été considéré vieux) travaillait (notion trop difficile à expliquer ici en peu de mots) dans une boutique d'antiquités. Attardons-nous d'abord à cette notion particulièrement étrange, bien que typique de cette période reculée, qu'est la «boutique». Une boutique était un endroit, un lieu physique, où des gens qui s'y déplaçaient (physiquement) pouvaient se procurer, pour «acheter» des choses (des objets tangibles qui étaient «vendus») en échange d'un paiement (soit, le don d'une chose sans valeur nommée «argent» qu'on accumulait à mesure d'efforts divers récompensés, souvent liés au concept susmentionné de «travail»). Ces choses, qu'on avait habitude de rechercher en vue d'une accumulation, étaient alors transportées (physiquement) jusqu'au lieu de résidence des humains (nommés à cette époque «maisons») afin que ces humains puissent en faire un quelconque usage. Des «antiquités», concept encore plus difficile à imaginer (lisez bien attentivement) étaient en fait des choses physiques achetées, puis transportées, puis oubliées (ou jetées), revendues à des «antiquaires» (suivez bien, s'il vous plaît) qui, eux-mêmes les revendraient à nouveau à de nouveaux êtres humains. Ça paraît absurde, mais comment juger la candeur de cette époque lointaine?

Or, cet homme (nous entendons ici par «homme» un être humain de sexe hétérogamétique) travaillait dans une boutique d'antiquités spécialisée en objets des années 50, 60 et 70 (c'était le nom alors donné aux années que nous situons maintenant entre -248.2 et -245.2). Les objets typiques de cette époque étaient reconnus pour leurs couleurs voyantes (excluant les couleurs infrarouges ou ultra-violettes si courantes de nos jours), leur apparence futuriste (par «futur», ces populations primitives entendaient ce que nous appelons la période pré-néo-historique) et leurs matières variées (dont le plastique, seule matière qui nous soit maintenant connue - mais cela, bien entendu, ne demande aucune précision). Dans sa boutique, cet homme s'ennuyait à force d'attendre (nous avons bien peur d'avoir à encore alourdir ce conte du rappel que le temps était à cette époque compris de manière linéaire, dite «chronologique» - bref, «attendre» n'était pas une activité prisée, mais vue comme désagréable) que des clients (les humains en quête «d'acheter») se présentent physiquement dans sa boutique.

Un autre homme, nommé Robert, se présenta enfin. Il dit à l'antiquaire: «Bonjour!» (les activités humaines se groupaient souvent pendant cette période comprise entre 500 heures et 750 heures - l'heure métrique n'était par contre pas encore en vogue), ce à quoi, fidèle à la tradition de l'époque, l'antiquaire répondit lui aussi: «Bonjour». Robert poursuivit: «Je suis à la recherche de Tupperware». «Bien sûr, mon petit monsieur», rétorqua l'antiquaire en pointant dans la section appropriée.

Là, se trouvaient de multiples contenants Tupperware, dont certains possédaient même toujours leurs couvercles. Notons que l'utilisation du Tupperware était alors reléguée à certains aspects pratiques de la vie courante, et non à l'adoration divine que nous connaissons aujourd'hui. Or, les couvercles étaient fort prisés (ce qui explique, selon plusieurs chercheurs contemporains, la rareté des spécimens qui nous sont parvenus), rendant possible la conservation de la fraîcheur des aliments, entre autres fonctions (spécifions ici que les «aliments» étaient en ces temps reculés consommés par la bouche, mastiqués puis avalés avant d'être digérés). Robert choisit donc une série de contenants et paya l'antiquaire afin de quitter les lieux avec sa nouvelle collection dans un sac de plastique.

L'antiquaire fut surpris de la rapidité de l'échange. Il compta l'argent et découvrit une somme bien supérieure à celle qu'il avait requise, ce qui le rendit fort heureux (être «heureux» n'était pas chose usuelle)...

Robert revint chez lui, au début de notre ère, avec son Tupperware. Eh, oui: «Notre Tupperware». Ce Robert, vous l'aurez compris, est celui que nous appelons maintenant «Notre Sauveur», le seul être humain à avoir survécu à un si long voyage temporel; celui sans qui nos vies seraient si vides de sens.

La suite de l'histoire, bien sûr, vous la connaissez parfaitement...

2 commentaires:

  1. Wow! Quelle imagination!

    J'ai une question pour toi: Pourquoi cette adoration envers les tupperwares et non pas un autre objet quelquoncle? Qu'ont-ils de spécial? Il faut dire que je ne verrai plus jamais les tupperware de la même façon depuis ta connaissance...

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  2. D'abord, merci!

    Ensuite, je me dois de réfléchir afin de répondre à cette question, ma foi, fort pertinente...

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