mardi 9 février 2010

Conte de fées

J'étais au bord du précipice. Devant moi, le vide, infini, qui m'appelait. J'ai regardé vers le bas. Rien. J'ai crié: «You-hou». Rien. Pas même d'écho. J'ai eu envie de me retourner, afin de regarder derrière moi. J'ai hésité. Je n'avais tout de même pas fait tout ce trajet pour rien, alors, j'ai résisté. J'ai fermé les yeux. J'ai pris une grande respiration. J'ai fait un pas vers l'avant, puis un autre. La sensation initiale de ma chute m'a surpris. Ce n'était pas du tout comme je l'avais imaginé. Aucun haut le coeur. Pas la moindre brise vers le haut pour m'indiquer la vitesse de ma chute. Où était cette impression vertigineuse que j'avais tant de fois imaginée? C'était donc cela, tomber? Quelle déception.

J'ai pensé: «toute ma vie, j'ai tellement été déçu par tout, c'est même l'accumulation de toutes ces déceptions qui m'a mené jusqu'ici, mais cette déception-là, vraiment, c'est le bouquet!». J'ai attendu quelques instants, me disant qu'encore une fois peut-être manquais-je de patience, de persévérance et que ce n'était qu'une question de temps. La chute allait bien se faire sentir. Tout mon corps était en attente. Jamais je n'avais été autant conscient de mon corps, de toute mon existence. Je ressentais tout: mes cheveux immobiles, mes organes internes, ma peau en contact avec les molécules environnantes, le flux de tous ces liquides qui voyagent à vive allure à l'intérieur de nos corps. Soudain, j'ai ressenti un léger picotement, sous mes pieds nus. C'était doux, mais troublant. Le picotement a fait place à une pression, de plus en plus forte. J'ai entendu une voix, toute menue et essoufflée, qui semblait provenir de mes orteils.

- Je suis là. Tu peux me regarder, si tu veux.

J'ai ouvert les yeux. Devant moi, le vide n'avait pas bougé. Sous mes pieds, le vide n'avait pas bougé. D'entre mes orteils, je l'ai vue. Elle ne devait bien mesurer pas plus de vingt centimètres. Elle portait une petite robe légère et fluide, comme tissée de vapeur d'eau, qui laissait voir sa peau lisse, pâle et bleutée. De petites ailes, qui battaient à toute vitesse, comme celles d'un colibri, semblaient sortir de ses flancs, un peu vers l'arrière, sous ses bras fins qui me tenaient comme ils pouvaient. Ses yeux vifs me jetèrent un regard tendre.

- Tu as bien failli tomber, je le crains.

J'ai répondu, spontanément, d'une voix forte et agacée qui contrastait avec celle qui venait de parvenir à mes oreilles:

- Je voulais tomber. Mais ça ne tombe pas. À cause de toi. Tu gâches tout.

- Je ne fais que mon devoir. Mon nom est Tupperware. Je suis une fée. Les fées sont partout et protègent ceux qui en ont besoin.

- Une fée? Moi, je ne crois pas aux fées. Ce ne sont que des sornettes.

- Pourtant, tu me vois. Je suis ici, avec toi. Je te retiens dans ta chute. Maintenant, retourne-toi et reviens sur tes pas.

Cette petite créature commençait à me casser les pieds sincèrement avec ses phrases toutes faites. Qui était-elle pour décider que moi, j'avais besoin de l'aide d'une fée? J'ai tenté de l'écraser avec mes pieds. Le vide sous moi ne permettait pas cette opération. J'ai secoué, afin de m'en débarrasser, mais la petite était entêtée et s'agrippait comme une sangsue et ne se lassait pas de battre des ailes. Elle continuait à me lancer des mots qui se voulaient rassurants, de sa petite voix flûtée. Elle commençait à m'énerver sérieusement. Je lui ai crié:

- Lâche-moi, sale créature de merde!

Je me suis penché et j'ai essayé de l'arracher à la plante de mes pieds. Ses petits doigts s'enfonçaient de plus en plus dans ma peau. Elle résistait farouchement, mais tout en gardant sa bonne humeur. Sa voix était de plus en plus calme, même. Comble de tout, elle s'est mise à chanter une berceuse. Son chant disait:

- Je suis une fée. Tu as besoin de moi.

C'était la goutte qui faisait déborder le vase.

- Tu vas voir si j'ai besoin de toi, saleté!

D'un coup sec, j'ai pris ses petites ailes entre mes doigts et je les ai arrachées.

La chute fut immédiate. Entraînée avec moi dans cette chute dans le vide, elle a continué à chanter. Elle a chanté, chanté, chanté. Jamais nous n'avons touché au fond.

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