vendredi 26 février 2010

Conte canadien, 8e partie

J'ai conduit rapidement vers ma maison, en continuant à faire sembler de m'intéresser à ce qu'il disait. Il n'était pas particulièrement efféminé, mais parmi ma gang au travail, tout le monde aurait eu des soupçons à son sujet. Ses vêtements étaient trop propres, trop ajustés. Il racontait des anecdotes à propos de son travail. J'ai cru entendre qu'il trouvait qu'il travaillait très fort et que ça lui faisait du bien de relaxer un peu. Je ne pouvais pas imaginer comment un marionnettiste pouvait travailler «trop fort». Il faisait quoi, de ses journées, à part se mettre la main dans le cul de muppets en peluche? Travailler dur, il ne savait pas c'était quoi. En plus, ça avait l'air payant, son affaire. Tous ses vêtements semblaient flambants neufs. Il s'est mis à rire et m'a mis une main sur la cuisse. J'ai gardé mon calme. Il fallait que je garde mon calme. Pour le moment.

- Alors?

- Alors, quoi?

- Alors, est-ce que c'est encore loin?

- Ah, non, non. Deux minutes, pas plus.

Je devais rester à son écoute. Si je ne paraissais pas assez intéressé, il se douterait de quelque chose. Je lui ai donc posé une question:

- Hey, heu, Robert, toi, là, comment tu la trouves, heu, Madonna?

Il a paru surpris de ma question. Je pensais qu'ils parlaient tout le temps de Madonna, ceux-là, pourtant. Je voulais que ça ait l'air normal. Après avoir hésité quelques instants, il est reparti. Il en avait long à dire sur Madonna, en effet. Je ne m'étais donc pas trompé.

Arrivé devant chez moi, il a dit: «C'est ici?» et j'ai fait un signe de la tête. Alors qu'on allait sortir de mon truck, son téléphone cellulaire a sonné. Je commençais à m'impatienter. Il a regardé l'afficheur et a appuyé sur un bouton pour fermer son appareil.

- Ma mère.

- Tu le prends pas?

- Non. Je vais la rappeler demain.

On est descendus du camion. Il ne pouvait pas s'arrêter de parler. Il racontait ce que sa mère lui aurait probablement dit. Ça ne finissait plus. J'aurais préféré qu'il prenne l'appel, ça aurait été moins long et probablement moins plate. J'ai ouvert la porte du garage. J'avais pris l'habitude d'entrer par la porte du garage depuis que j'habitais là. Je trouvais ça plus accueillant et bien plus pratique. Avec certains de mes invités, c'était vraiment, vraiment pratique, en effet. Il a regardé la porte d'entrée de la maison, s'est retourné rapidement pour regarder la porte du garage et m'a suivi. La lumière du garage n'était pas allumée. Il a chuchoté: «Ouais, toute une entrée» en me prenant par la taille. Il a glissé sa main vers ma poche arrière. Je l'ai arrêté net en lui disant: «Cool, cool...»

Là, c'est moi qui l'a pris par la taille et je l'ai rapproché du congélateur. Il s'est laissé faire. J'ai dit : «J'ai quelque chose à te montrer» et d'un geste brusque, j'ai ouvert la porte du congélateur. Il est devenu tout raide. Il fixait le contenu de mon congélateur, sans bouger. La lumière du congélateur faisait briller ses yeux horrifiés. Avec beaucoup de peine, il est arrivé à articuler:

- Qu'est-ce que c'est ça?

- Ça, c'est ce qui va arriver avec toi.

Je le tenais de plus en plus fermement par la taille. Il semblait nerveux. Il bégayait.

- T'es un hostie de malade!

Il a voulu s'enfuir, mais j'ai pris sa tête dans mes mains et je l'ai cognée sur le rebord du congélateur. Il est tombé sur le ciment froid. J'ai pris de la grosse corde jaune que j'utilisais pour aller en camping, j'ai attaché ses mains derrière son dos et ses pieds ensembles. Il saignait un peu et râlait faiblement. J'ai sorti de ma poche arrière mon couteau suisse. J'ai retourné le Québécois sur le dos. Je me suis rapproché de son visage en lui parlant doucement.

- C'est une petite collection que je fais. Toi pis moi, on a une affaire en commun, ça a l'air: on aime ça, les pénis. J'en ai 172. Bientôt 173. Sauf que moi, je me les mets pas dans le cul, je les congèle et je les classe dans des Tupperware.

Il a gémit quelque chose d'incompréhensible.

- Qu'est-ce que tu dis, le marionnettiste? Je t'entends mal.

Je me suis relevé et j'ai écrasé son cou avec ma botte de construction. Il a dit, d'une voix étouffée:

- Des Tupperware? T'appelle ça des Tupperware, toi?

- Tu sais très bien ce que je veux dire.

- Des Tupperware de B.S., oui! De crisse de loser du Manitoba.

J'ai voulu lui donner un coup de pied dans les gosses, mais je me suis retenu. Je n'allais tout de même pas endommager mon premier spécimen québécois. Fidèle à lui-même, il a continué de parler. Moi, je n'en revenais pas. J'aurais pu le faire taire tout de suite, mais, en quelque part, ça m'intriguait d'entendre ses dernières paroles.

- Tu pourrais au moins acheter des Rubbermaid, crisse de cheap. Y se fendent le cul pour les vendre pas chers chez Walmart. Vous avez ça, des Walmart, au Canada, non? Walmart, you know what I'm talking about? Or maybe you're not even worth some piece of shit plastic container that would actually pile up nicely? You're a monster. A piece of shit monster.

J'ai figé. J'essayais de retenir mes larmes, mais c'était plus fort que moi. Il avait raison. Je le savais depuis longtemps, au fond, mais il avait raison. À travers mes larmes, j'ai hurlé:

- Même pas cher, j'ai pas les moyens!

- Je peux t'aider. Je peux t'aider, mais détache-moi. Détache-moi, man...

J'ai pris mon couteau suisse, je me suis approché de lui. J'ai dit:

- Y faut que je fasse quelque chose.

J'ai déboutonné son pantalon, ouvert sa braguette. C'était donc vrai, ce qu'on disait des Québécois. J'ai soulevé mon couteau et, d'un coup sec, j'ai coupé la corde jaune de ses mains. Il a saisi mon couteau et me l'a planté dans le ventre. Il était vite, le maudit.

Tout est devenu noir.

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