mercredi 24 février 2010

Conte canadien, 6e partie

Toute la fin de semaine, je me suis reposé. J'ai nettoyé le plancher du garage et j'ai essayé de comprendre ce qui était arrivé cette nuit-là. Ce qui m'était arrivé à moi, ça, c'était clair. J'avais eu le pénis tacheté que je voulais, mais pas exactement où je le voulais. Par contre, je n'ai aucun souvenir d'avoir tué Brandon, mais pourtant, je l'avais retrouvé mort, baignant dans son sang au milieu de mon garage. Son séjour précipité au congélateur, je dois le dire, n'a pas aidé les choses. Je pouvais voir que son crâne avait été fracassé, mais, comme il était rendu tout raide, c'était plutôt difficile d'examiner des traces sur son corps pouvant me renseigner sur le déroulement des événements. En plus de ça, la vie, c'est pas un show de TV et, à ce que je sache, il n'y a pas de CSI Winnipeg.

Le plus troublant dans tout ça, c'est que personne ne semblait s'inquiéter de la disparition de Brandon. Aucun appel téléphonique. Rien aux nouvelles. Pas une maudite question de la part des gars du travail, avec qui il avait pourtant fêté ce soir-là. J'ai même vu la police aller faire un tour chez des voisins, mais pour la même raison qu'à tous les samedis soirs: musique trop forte, grosse torche qui crie au meurtre, gars saoul dont le poing est parti tout seul.

Ça m'a laissé beaucoup de temps pour réfléchir. Peut-être était-il simplement tombé après en avoir fini avec moi et le destin a fait le reste, aidé du plancher de ciment? Peut-être que j'avais eu un relent de force et que je l'avais assommé, mais avec quoi? Si oui, pourquoi ce moment-là était-il complètement effacé de mon cerveau? Ça faisait beaucoup de questions et très peu de réponses.

Par contre, dans mon congélateur, se trouvait le morceau que j'avais tant désiré, bien congelé. Il y avait pas mal d'extra autour, disons, mais le morceau était bel et bien là. Cette pensée m'a mis de bonne humeur. Je me suis débouché une bière, pour célébrer et pour oublier à quel point j'avais mal au cul. Je me suis dit: «Bon, ben, il faudrait ben séparer le pénis du gars et classer ça comme il faut dans des Tupperware». J'ai pris un couteau dans la cuisine. Pas celui que j'utilisais d'habitude pour ce genre de choses, mais un avec des dents, pour couper des tomates. Congelé, j'imaginais, ça allais être pas mal plus dur à trancher. À ma grande surprise, pas du tout. Ça s'est presque détaché tout seul. J'ai sorti de mon tiroir à Tupperware le pot de yoghourt vide que j'avais gardé pour l'occasion, j'ai mis le pénis de Brandon dedans et j'ai pris un stylo feutre pour écrire la date au dessous.

Là, j'ai eu comme un moment d'hésitation. Est-ce que je devais écrire la date d'aujourd'hui, ou la date de ma rencontre avec Brandon dans mon garage? Ça ne parait pas si grave, ce genre de choses, mais c'est dans les détails qu'on trouve la vraie satisfaction. Je suis resté assis sur le congélateur une bonne heure, stylo en mains, en pesant les pour et les contre. C'était quoi, le plus important à répertorier, au juste? Le détachement du pénis ou sa congélation? Le moment où j'avais coupé, ou l'instant où j'avais rangé? D'une part, je célébrais le passionné en moi et d'une autre, le gars bien raisonné. Tout un dilemme.

J'ai noté l'année, le mois et j'ai laissé l'espace pour le jour en blanc. J'ai remis ça au congélateur, qui faisait vraiment peine à voir tant tout était mélangé. Avant de refaire de l'ordre, par contre, je savais bien qu'il faudrait que je me débarrasse du corps, qui prenait beaucoup trop de place. Il avait d'ailleurs fini par figer dans une position qui faisait vraiment brouillon. Il ne se tenait pas du tout comme un humain, mais comme une poupée désarticulée. Non, pas une poupée: comme une marionnette.

J'ai tâté ma poche arrière et j'en ai ressorti la carte du Québécois à la Honda Civic. Ça m'a donné une idée. Je suis allé dans la cuisine pour téléphoner. Ça a répondu presque tout de suite.

- Oui, allô?

- Salut, heu, Robert?

- Heu... Oui?

- Tu me replaces pas? Le gars à qui t'as donné une ride.

- Ah, OK!

Sa voix est devenue plus grave, tout à coup:

- Salut! Heu. Ça va?

- Oui, je me demandais si t'étais toujours up pour une bière.

- En fait, oui, je m'apprêtais justement à sortir. Je sais pas si y va y avoir ben du monde, le dimanche soir, de même, mais je voulais aller faire un tour au, heu, comment ça s'appelle, donc?

J'ai entendu un bruit de pages tournées.

- Au Gio's. C'est weird. C'est juste en face de mon hotel.

- T'es où?

- Au Place Louis Riel all suite hotel. C'est weird, non? Un maudit bar gay dans toute la ville, pis les producteurs m'ont logé juste en face.

Je savais bien de quel endroit il parlait, mais je n'ai rien dit pour faire l'innocent. Il a poursuivi:

- Y'a un genre de party «Church», là, à partir de sept heures du soir, le dimanche. Ça fait que je pensais aller faire un tour là. Je commence pas avant midi demain.

- Bon, ben, on se rencontre là?

- Si tu veux. En tous cas, moi, je vas être là.

Il avait l'air tout content. C'est certain que pour une tapette toute seule un dimanche soir à Winnipeg avec ses marionnettes, il devait bien être heureux d'avoir un peu de compagnie. J'ai pris une douche. J'ai mis une camisole blanche sous mon chandail de coton ouaté, puis mes jeans les plus serrés et mes bottes de construction. Il allait en avoir pour son argent, le marionnettiste.

Et moi aussi.

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