vendredi 12 février 2010

Conte du diable

Il avait toujours été un homme sage. Jamais il n'arrivait en retard. Jamais il ne sortait mal rasé, décoiffé ou mal vêtu. Sa conduite était irréprochable. C'était tout ce qu'on lui reprochait, d'ailleurs.

À tous les jours, sa routine était identique: lever de bonne heure, toilette du matin, petit déjeuner équilibré, départ à pieds pour le travail, pause midi composée d'exercices et d'un repas sain bien rangé dans un Tupperware, retour vers la maison à pieds toujours à la même heure, préparation d'un autre repas équilibré, lecture variée mais classique, coucher permettant une nuit de neuf heures précisément. Il n'y avait que peu de place aux imprévus, mais l'homme arrivait toujours à insérer quelque obligation ménagère, à dépanner un voisin ou à penser aux anniversaires de tout le monde de son entourage. La nuit, son sommeil était profond et ses rêves, décents.

Un matin, notre homme se réveille en sursaut. Quelqu'un, ou quelque chose, semble se cacher dans la noirceur d'un coin de sa chambre. Une voix rauque lui dit: «Aujourd'hui, c'en est fini pour toi. En fait, je veux t'offrir une chance unique, mais qui changera ta vie à jamais».

L'homme se frotte les yeux, n'en revient pas. Il ouvre la bouche, mais n'arrive pas à répondre. La voix dans l'ombre poursuit: «Deviens mon disciple et tout ce que tu connais disparaîtra. Par contre, tu connaîtras des plaisirs uniques et infinis». L'homme pense à la journée qui l'attend. Le travail, la vie tranquille, le cycle sans surprise de son existence. Il n'en croit pas ses propres oreilles, mais il s'entend répondre: «C'est bon. Je suis ton disciple, à jamais. Je veux dire adieu à la vie telle que je la connais et découvrir les joies que tu proposes».

Dans l'ombre, la créature à la voix mystérieuse n'en revient pas. Jamais un nouveau disciple n'a répondu si promptement à son appel. La créature s'avance. L'homme la voit enfin. Blanche et diaphane, elle se meut avec grâce. Ses bras sont longs et fins, ses yeux clairs sont doux, sa peau nue est lisse. Des ailes, semblables à celles d'une colombe, ornent son dos en battant gentiment.

L'homme lui demande: «Mais qui es-tu?». La créature répond: «Un ange de bonté et de bonheur, venu du ciel». L'homme se lève et dit alors:

- Enchanté. Moi, je suis le diable.

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