Toutes ces pensées me hantaient et me bloquaient, totalement. J'étais figé, incapable du moindre geste. Je me suis mis à douter. «Et si, pour une fois, je me faisais prendre?». Les scénarios dans ma tête devenaient de plus en plus complexes et tordus. Comment quelque chose qui s'était fait jusqu'alors de manière si naturelle avait pu devenir si angoissant? Était-ce parce que, pour la première fois, j'avais un objectif précis et prémédité? Ce pénis tacheté de mauve m'obsédait.
J'ai essayé de me calmer. Je suis allé dans le garage et j'ai ouvert le congélateur. J'ai regardé mon système de classement et j'ai décidé de le repenser complètement. J'ai d'abord tenté de classer mes spécimens selon leur date d'acquisition. Ce fut un ratage complet. Les plats ne tenaient pas bien les uns sur les autres, à cause de leur trop grande diversité. Il était aussi difficile d'établir un ordre linéaire dans un espace cubique. Devais-je fonctionner de gauche à droite, ou de droite à gauche? Vers le bas ou vers le haut? La date la plus ancienne devait-elle se retrouver au fond, ou sur le dessus? Une fois une rangée terminée, était-il préférable de revenir devant cette rangée là où elle avait commencé ou plutôt continuer, comme un serpentin, afin de ne pas briser la suite logique? Les possibilités apparaissaient infinies. J'en avais mal à la tête. En plus, il faisait particulièrement froid. J'avais pris la précaution d'ouvrir la porte du garage d'un mètre environ, afin de ne pas risquer la décongélation de mes précieux pénis. Le garage était devenu une réelle chambre froide.
Les heures de la nuit s'avançaient et je n'avais toujours pas trouvé la méthode idéale. Je ne sentais presque plus le bout de mes doigts. J'étais passé par toutes sortes d'avenues. J'étais allé jusqu'à explorer le classement par ordre alphabétique des noms des produits qui s'étaient originalement retrouvés dans chacun des pots. Le bilinguisme de certains emballages rendait cette approche quasiment impossible. «Strawberry yogurt» se retrouvait dans les «S», mais si loin des «Y» des «Yoghourts aux fraises» que c'en était absurde. Le fait que mon salaire plus que modeste m'oblige à choisir mes aliments selon les spéciaux de la semaine ajoutait bien sûr à la confusion. Toutes les marques s'y retrouvaient, chacune avec leurs spécificités, leurs formes et leur approche marketing. C'était un bordel qui jusque là ne m'était pas apparu si insupportable, mais ce soir-là, j'en aurais pleuré.
C'est alors que j'ai entendu des pas dans la neige. Quelqu'un approchait. J'ai entendu cogner à la porte du garage. Des pieds, chaussés des grosses bottes noires, et des jambes, vêtues de noir aussi, sont apparus dans l'ouverture de la porte de garage. J'ai entendu: «Hey, man, are you there?». J'ai bien dû rester immobile pendant une minute. La voix a répété: «Are you in there?».
J'ai tout ramassé les contenants et je les ai lancés dans le congélateur, pêle-mêle. J'ai refermé la porte du congélateur. En courant, j'ai fait le chemin par l'intérieur de la maison pour ressortir par la porte d'entrée. En mettant le nez dehors, j'ai cru avoir halluciné. Il n'y avait plus personne. Plus personne, mais une camionnette rouge stationnée dans la rue, devant ma maison. J'ai entendu une voix étouffée: «Hey, buddy, I think you left your garage door open! It's fucking freezing outside!». Pas de doute. C'était lui. Brandon.
Il avait dû entrer dans le garage en passant par dessous la porte. Je me suis précipité dehors, vers la porte du garage. D'un geste brusque, j'ai soulevé la lourde porte. Il était là, devant mon gros congélateur blanc. Dans ses mains, il tenait un pot de ricotta light et en observait le dessous. En ricanant, il a dit: «Man, you shouldn't let your garage door open this way. Your heating bill's gonna go through the roof!».
J'ai répondu: «I probably just forgot to close it completely when I came back from the grocery store». Il a ajouté: «This was on the ground. Lucky it was so cold in here whatever's inside probably didn't go to waste!». Mais que faisait-il ici, chez moi, au juste? Au moment où j'allais lui poser la question, il a poursuivi: « I went out partying with the guys tonight and things got a little crazy. Man am I drunk! On the way back to my place, I was driving by your house, saw your garage door open, so I figured I'd better just come in and see what was up.».
J'ai tenté de garder mon calme. En dedans de moi, par contre, ça bouillait. J'étais excité comme je ne l'avais jamais été. J'ai refermé la porte de garage derrière moi. Il était là, devant moi, sans défense, aux petites heures de la nuit. J'ai dit: «Well, if you're drunk, another beer won't kill you, will it?». Je suis passé à côté de lui. J'ai repris le contenant qu'il tenait distraitement et je lui ai fait signe de me suivre. Alors qu'il s'apprêtait à me rejoindre vers l'intérieur de la maison, je l'ai regardé dans les yeux. Il ne bougeait pas. Il me fixait d'un regard étrange. Il s'est mis à pleurer. Entre ses sanglots, il a dit: «Dude, I'm sorry, I really... I really can't-». C'est là qu'il s'est jeté sur moi. Il s'est mis à me serrer dans ses bras si fort que je pouvais à peine bouger. «I'm not like that, but I just can't help it!», qu'il criait. Il s'est mis à embrasser ma bouche en laissant sortir des «I want you, I want you, man.» désespérés, mêlés à de fortes vapeurs d'alcool.
Pour qui me prenait-il? J'essayais de me défaire de lui, mais il était plus fort que moi. Il m'agrippait, me tirait par les cheveux, ne me laissait pas réagir. «I know you want this too!», a t-il ajouté en me poussant sur le dessus du congélateur. Ma tête s'est cognée durement sur la tôle blanche du congélateur. J'ai laissé tomber le pot de ricotta sur le sol de ciment. Il a déchiré ma chemise. Il tenait mes deux mains ensembles au-dessus de ma tête, avec son poing. Son autre main a baissé mon pantalon de jogging gris, mon boxer. J'étais à moitié sonné, mais je sentais tout de même sa force, ses gestes, la bosse dans son pantalon noir. Il est monté sur une caisse de bois et c'est là que je l'ai vue: sa queue, dressée comme une barre et tachetée comme une vache violette. Il m'a violé. J'ai senti son membre froid en moi. Il grognait comme un fou. Il me chuchotait à l'oreille des phrases incomplètes: «You like this, don't...», «Fucking bastard, I saw you looking...», «I knew you wanted...» alors qu'il allait et venait en moi sans ménagement.
Il a hurlé. Moi, j'ai vu du noir.
Le lendemain matin, j'ai ouvert les yeux péniblement. Il était là, sur le plancher froid du garage, baignant dans son sang. À côté de lui, une masse molle et décongelée gisait, à moitié sortie du contenant de ricotta. Moi aussi, j'étais couvert de sang.
J'ai ramassé le morceau de chair, je l'ai remis dans son pot, que j'ai balancé dans le congélateur. En usant du peu de forces qu'il me restait, j'ai soulevé son corps, que j'ai aussi placé au congélateur.
J'ai pensé: «Ostie de mess, ostie de fucking mess.»...
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