C’est difficile, rester en place. De ces temps-ci, on dirait que, vraiment, je ne tiens pas en place. C’est à cause d’un échange. Vous savez? J’échange mon appart contre un autre, et les voyages coûtent ainsi moins cher. Parfois, ce sont des échanges simultanés, mais pas toujours. Pas maintenant. En ce moment, Ruston (pour ne pas le nommer) habite chez moi. Il dort dans mon lit. Dans mes draps. Il m’a volé mon espace. Mon contenant.
Bon. C’est sûr qu’un jour, bientôt peut-être, je serai celui qui délogera Ruston (pour ne pas le renommer) de son flat in Greenwich Village, mais pour le moment, le sans-abri, c’est moi.
C’est fou comme c’est déstabilisant de ne pas avoir de contenant fixe, bien à soi. Je ne sais pas comment les peuples nomades font, jamais à la même place, toujours en mouvement. Du sable partout, jusque dans le fond de culottes. Pauvres peuples nomades! Mais même ces derniers, pourtant, doivent bien chercher à recréer cette impression de stabilité dans leurs périples. Même tente. Même chameaux. Même petite gamelle pour manger le soir auprès du feu, une bouillie faite d’un peu n’importe quoi parsemée de grains de sable.
Des fois, je me dis que les végétaux sont chanceux. Les minéraux encore plus. Ils n’ont aucun besoin d’exploration. J’aime bien explorer, mais j’envie tout de même les organismes qui ne ressentent pas ce besoin de se munir de passeports pour faire la file dans des gares ou des aéroports, en lisant des guides touristiques ou des cartes géographiques, assis à côté d’étrangers trop gros qui prennent plus que leur place et qui ne sentent pas toujours super frais, pour se retrouver dieu sait où, là où on ne parle pas pareil, on ne mange pas pareil, on ne vit pas pareil : ailleurs, quoi.
Sortir de son contenant, c’est une drôle de lubie, non? On se dit : «et si c’était mieux ailleurs?» puis on se rassure que non, «c’était vraiment mieux ici, au fond». Mais on recommence. Encore et encore. Toujours avec le doute. Le doute qu’un jour on trouvera un nouveau contenant qui nous conviendra plus.
C’est choquant de penser que toute ma vie, je risque de vivre ce cycle répétitif qui me fera sortir pour mieux retrouver ma place. Peu importe combien je peux rationnaliser l’absurde de ce besoin, ce besoin absurde, il est là.
Ça me met… hors de moi.
pourquoi t'as choisi Ruston ?
RépondreSupprimerC'est Ruston qui m'a choisi.
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