La boulette, à son avis, c'était une idée formidable. «Une sphère, ça roule», s'était-il dit. Il se mit donc sur le chemin du retour vers sa maison, afin de terminer cette omelette, avec ou sans lait. Il pourrait peut-être simplement n'y ajouter qu'un peu d'eau?
Comme il était rendu infiniment petit, par contre, le trajet n'allait pas être de tout repos. Heureusement, avec sa taille réduite, il passerait inaperçu devant d'éventuels morts vivants, zombies ou autres monstres terrifiants et affamés.
Ça devait bien faire une demi-heure qu'il roulait et il se rendit compte qu'il avait à peine avancé d'un millimètre. Peu enclin à se décourager rapidement, il poursuivit son odyssée. Sa nouvelle forme et son échelle réduite, au fond, ne l'avaient pas changé, du moins, pas essentiellement. Il restait le même Robert, mais moins en volume, c'était tout. Ce qui avait changé, c'était sa perception du monde qui l'entourait.
En effet, il se mit à remarquer une foule de choses qu'il n'avait jamais vraiment perçues auparavant. La saleté du sol, qui normalement l'aurait dégoûté, paraissait plus organisée d'un point de vue infiniment petit. Chaque atome de saleté se tenait bien à «un bras» de distance de son voisin, dans un système étonnamment complexe mais rigoureux. Les taches cristallisées, surtout, formaient des compositions dont il pouvait maintenant apprécier toute la subtile géométrie. Les tuiles collantes du plancher paraissaient être de plaisantes collines, vue leur porosité. Même la lumière était différente. Cet espace lugubre, agrandi plusieurs fois, s'était transformé en un arrangement ajouré, comme une fine dentelle mathématiquement brodée, où il était possible de voir au travers des objets.
Dans cet univers, qu'il découvrait avec bonheur au fil de son périple, tout lui semblait beau. L'extrême organisation de ce qui l'entourait lui fit presque regretter de ne pas avoir atteint cette taille plus tôt. Il se rendit compte avec joie qu'un atome, bien qu'il fût celui d'une quelconque saleté, ne pouvait pas être sale, lui. Il se sentit en paix. Il se sentit invincible.
D'ailleurs, au-dessus de lui, il avait remarqué des pas. Mais même ces pas n'arrivaient pas à l'écraser. Il resterait toujours une distance minime entre lui et son environnement, entre la boulette qu'il était devenu et les atomes d'une éventuelle semelle de soulier. Ce soulagement lui fit se poser une question: «Moi-même, ne suis-je pas composé d'atomes qui ne se touchent pas vraiment?», puis il s'observa.
C'était vrai. Chaque petite particule du Robert qu'il était maintenant n'était pas attachée à l'autre. Entre chacune, un espace, un vide. Un petit creux.
C'est vrai qu'il n'avait encore rien mangé de toute la matinée.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire