lundi 8 novembre 2010

Robert ne sait pas quoi faire pour souper

Robert aimait bien manger. On pouvait dire de lui qu'il appréciait faire bonne chère, même s'il n'était pas fou de cette expression et de son orthographe illogique. Il réglerait bien cette nocive fantaisie de la langue française un jour, si on finissait par lui donner enfin les rênes décisionnelles qu'il se disait mériter. Il aurait tant aimé avoir un peu (ou beaucoup) de pouvoir sur le monde qui l'entourait, lui qui savait toujours quoi penser, et comment.

Par contre, ce soir-là, Robert faisait face à quelque chose d'inhabituel: l'indécision. En effet, il ne savait pas quoi faire pour le souper. Manger, manger, il voulait bien, mais il vint à trouver que les choix s'offrant à lui étaient somme toute limités. Oui, il y avait bien des ingrédients disponibles, bien des façons d'apprêter ces ingrédients, en s'inspirant de tant de cultures culinaires, mais, au bout du compte, tous ces choix ne finissaient-ils pas par revenir au même?

Ce soir-là, Robert se dit qu'il avait fait le tour des options comestibles et ne voulut pas se résigner à répéter cet incessant cycle. Il se mit à réfléchir aux ingrédients de base. Des fruits de mer? Il en avait mangé avant-hier. Du boeuf? Ce choix ne revenait-il pas sans cesse? Du poulet? Vous voulez rire?! Cette bestiole devait bien bondir dans tous les plats qu'elle voyait! Du riz, des pâtes, des tortillas, du pain baguette, de la pâte à tarte, du couscous, du pain nan, du pain de seigle, des crêpes, des galettes... Tout ça, ce n'était que des variations sur un même thème, pensait-il. Les légumes, bien que nombreux, ne finissaient-ils pas eux aussi par perdre leur lustre de nouveauté après tant d'années de cuissons, même variées? Que restait-il? Les fruits? Pour souper? Ces derniers n'avaient jamais prouvé beaucoup d'autonomie pour satisfaire l'appétit. On pouvait bien les mélanger, mais à quoi? Les produits laitiers, il ne voulait même pas en entendre parler, tant il semblait les connaître comme de vieux amis qui radotent sans cesse les mêmes histoires. Les oeufs, c'était bon, simple, oui, mais ne venait-il pas d'en ingérer pas plus tard que quelques heures auparavant? Les épices, c'était bien beau, il y en avait des centaines, des milliers! Mais pour épicer quoi? Toutes ces choses comestibles, il y pensait ce soir-là et en baillait d'ennui.

Le temps passait, passait, et Robert n'avançait pas dans sa réflexion. Ses attentes élevées pour la nouveauté l'empêchaient carrément d'arrêter son choix sur un repas. Il ne lui restait que deux solutions: jeûner ou baisser ses attentes.

Il tenta le jeûne, jusqu'à ce qu'il ressente un petit creux. Après ce qui parut être la plus longue demi-heure de sa vie, il revit ses attentes à la baisse. Il se précipita au petit marché du coin et il fit une chose terrible: il improvisa. Il se laissa emporter par le flot de la vie, par le fruit du hasard.

Un peu plus tard que d'habitude, trente minutes pour être exact, il mangea.

Étrangement, il arriva même à trouver ça bon.

2 commentaires:

  1. Manger, manger, manger.
    61% des Britanniques sont obèses et 68% des Américains le sont aussi.
    N'y a-t-il rien d'autre à faire que de manger?

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  2. C'est un éternel recommencement.

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