dimanche 7 novembre 2010

Robert au casino

Robert détestait les casinos. Toutes ces lumières clignotantes, ces machines visuellement et auditivement polluantes, cette décoration ostentatoire à la limite du kitsch, vraiment, Robert avait tout ça en horreur.

Or, pour toutes sortes de raisons, ce soir-là, Robert était allé passer la soirée au casino.

Dès son arrivée, ça le frappa: ici, le bon goût n'avait pas sa place. Et le bon goût, Robert connaissait. Si un jour l'humanité décidait de légiférer sur le bon goût, il serait le candidat idéal pour en déterminer les limites. D'ailleurs, il rêvait souvent à ce jour, en s'imaginant, penché sur des dossiers chauds comme l'interdiction ou non du foulard musulman sur des bases uniquement visuelles. De cet angle, avec son jugement aiguisé, il se sentirait enfin vraiment utile à la société.

Au casino, si on lui avait donné la responsabilité de décider de l'existence de ce qui l'entourait, même avec beaucoup de bonne volonté de sa part, il n'aurait pas resté grand chose. Sous ses pieds, les tapis bariolés se suivaient, mais ne se ressemblaient pas, sinon dans leur désir d'agresser le regard. Au-dessus de sa tête, des faux plafonds aux textures aussi variées que clinquantes, semblaient s'abattre sur les têtes. Devant, que du laid: des machines massives, joufflues, aveuglantes de leurs lumières multicolores et jamais tamisées. Tout autour, rien n'était subtil, doux, apaisant. Tout n'était présent que pour étourdir.

La laideur, devait-il le dire, s'était aussi malheureusement emparée des gens qui fréquentaient l'établissement. Il vit des coiffures ridicules, des robes et même des vêtements masculins envahis de paillettes, des maquillages excessifs sur tant de personnes pathétiquement bien intentionnées. D'autres, eux, avaient opté pour le confort: pantalons sans forme, souliers insignifiants, chandails de coton ouaté décorés de têtes de loups. Chez tout ce monde, des regards hagards, hypnotisés. Heureusement, Robert n'était pas ici pour être baigné de beauté, ni même pour aller à la rencontre de confrères humains, mais pour jouer. C'était l'utilité d'un casino, non?

Il s'approcha de quelques machines. Non seulement le fouillis visuel ne permettait pas ce moment de détente qui lui semblait pourtant propice dans un «lieu de divertissement», mais tout paraissait conçu pour créer la confusion. Même les actions les plus simples se voyaient compliquées. Où fallait-il mettre l'argent? N'était-ce pas là le but premier de ces appareils? Tant de fentes, de trous, d'interstices se côtoyaient. Tant d'instructions écrites en lettres minuscules, sans aucun souci d'équilibre graphique ne faisaient croire qu'à un travail de dernier de classe d'une école de design de bas étage. Tant de boutons s'alignaient, quand, au fond, un seul aurait sans doute suffit.

Tentant de faire fi de ce désastre conceptuel, Robert tenta de jouer. Jouer? À quoi donc jouait-on, ici, au fait? Pour jouer pour vrai, ne fallait-il pas être mis au courant du but du jeu? Certains arrangements plaisaient à l'oeil de Robert, comme cette série «citron - lingot d'or - citron», si douce à l'oeil de par sa monochromie, mais ne valaient pas de récompense. En revanche, les gros lots, souvent, apparaissaient aux moments les plus incompréhensibles, alors que la machine, avec des motifs étoilés démodés ou des images stroboscopiques, redoublait d'ardeur pour déplaire esthétiquement. Ces «jeux» ne faisaient preuve d'aucune logique, vraiment.

Au bout de la soirée, après de multiples tentatives de comprendre cet univers, Robert se retrouva exactement avec le même montant d'argent qu'à son arrivée. Cela lui plut. Il trouva, dans l'absurdité de cet échange entre son argent à lui et l'argent du casino, un équilibre rassurant.

C'était, pensa-t-il, le seul élément équilibré de toute cette aventure.

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