vendredi 12 novembre 2010

Robert et la vengeance du Tupperware

Ce matin-là, Robert n'aurait jamais pu s'imaginer ce qui allait lui arriver. Il se leva, un peu plus tard que d'habitude, un peu enrhumé. Il se prépara à vivre une des journées les plus ordinaires de sa vie. Ce n'était pas ce que le destin avait réservé pour lui.

D'abord, tout fut assez ordinaire: il prit sa douche, but un verre de jus d'orange, regarda son courriel, mangea un peu. Il regarda distraitement la télévision, il fit un peu de lecture, il alla chercher du pain à la boulangerie. Il se prépara un sandwich au thon, il le mangea, il but de l'eau, beaucoup d'eau. Sa journée ordinaire battait son plein. Il ressentait une réelle fierté d'avoir réussi son défi de ne vivre rien de spécial pendant sa journée. Un peu de calme, ça lui ferait du bien. Son corps l'en remercierait en éliminant ce rhume automnal bien ennuyant.

Ça faisait à peine quelques heures qu'il était levé, pas plus de quatre heures, qu'il se dit qu'il méritait bien une petite sieste. Il entra dans la chambre, tira les rideaux, ferma la porte. Il éteignit la sonnerie du téléphone, la lumière de la chambre. Toujours en pyjama, il se coucha, ferma les yeux et s'endormit aussitôt.

Quelques minutes passèrent, puis quelques heures. Il dormait toujours, en rêvant des rêves totalement insignifiants, à l'image de la journée qu'il s'était promis de vivre. La tête bien enfoncée dans son oreiller, il était coupé du reste du monde. Quelle réussite c'était, cette pause sans éclat dans sa vie si occupée! Il se retourna lourdement en gémissant de satisfaction. C'est à ce moment qu'il entendit un bruit.

«Scritch, scritch», que ça faisait. Dans son état semi-éveillé, il ne sut pas interpréter le bruit, qui provenait de sous son lit. «Scritch, scritch». Il n'ouvrit pas les yeux, mais, de plus en plus conscient, il cessait de respirer un instant, question de mieux entendre. Le bruit s'amplifia. Rêvait-il? Il se mordit l'intérieur de la joue, pour voir. Non. Malgré sa confusion, il était maintenant certain de ne plus être endormi. «Scritch, scritch, scritch»: le bruit se fit de plus en plus présent. Il ouvrit les yeux. Rien d'anormal ne venait troubler la paix de la chambre à coucher.

Il s'assit dans son lit. Une présence se faisait sentir, c'était clair. Il frissonna. Tout à coup, la porte de la chambre s'entrouvrit sans grincer. Une ombre se glissa hors de la chambre. Lentement, prudemment, il se leva et cria: «Allô? Allô?!» en s'approchant de la porte.

Dans le couloir, il n'y avait rien d'anormal. Tout était à sa place. Les pattes de la chaise près de la porte d'entrée étaient bien enlignés avec les lattes du parquet, la petite table était bien adossée sur le mur, cachant la prise de courant comme il se devait, le vide-poches était vide, comme il le fallait. La porte d'entrée était bien fermée, verrouillée. Rien ne semblait avoir bougé. Pourtant, ce bruit continuait de se faire entendre, plus loin maintenant. Vers la cuisine.

Robert s'avança silencieusement vers la cuisine. Le bruit petit bruit était maintenant accompagné d'autres bruits: «clonk, fuiiiit, poum, scratch, pop, clac, clish». Soudainement, les bruits cessèrent. Robert profita de ce moment de silence pour s'avancer encore et entrer dans la cuisine. Encore une fois: rien d'anormal. Robert était-il enrhumé au point d'en avoir perdu la tête?

Dans sa cuisine, bien propre et bien rangée, Robert tenta de se calmer. Il n'était pas fou, juste un peu fatigué. Il expira longuement. Il eut un petit rire de soulagement, voyant que toute cette aventure n'en était, au fond, pas une, et qu'il allait atteindre son but de vivre une journée extraordinairement ordinaire, comme il l'avait souhaité. Il pensa: «j'ai soif et un bon verre d'eau me fera du bien.»

Il ouvrit l'armoire pour se prendre un verre. Ils étaient là, pêle-mêle. Il ouvrit les autres portes d'armoires, et les tiroirs. C'était encore pire. Tous les vieux Tupperware dépareillés dont il s'était défait presque un an auparavant étaient empilés dans un désordre incroyable. Ne les avait-il pas donnés à une oeuvre de charité? Ne les avait-ils pas remplacé par un ensemble de marque Rubbermaid tout simple, plus facile à ranger? Ne s'était-il pas promis de ne plus jamais chercher un couvercle manquant de toute sa vie?

Ils étaient revenus. On ne se débarrassait pas aussi facilement de contenants Tupperware dépareillés, accumulé au fil de tant d'année, donné par des vieilles tantes bien intentionnées.

Robert avait perdu la guerre. La «Tupperwar». Il capitula. Son rhume disparut soudainement.

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