«Jamais je n'aurais cru possible de laisser s'encombrer ainsi un congélateur», se dit-il, en regardant fièrement l'intérieur du congélateur de son réfrigérateur maintenant nettoyé et bien rangé.
En effet, depuis quelques mois, il s'était laissé aller. Il n'avait pas été vigilant et avait ignoré certains signes: des bleuets qui roulent par terre, des aliments similaires placés dans deux sections différentes, des restes dignes d'une excursion archéologique dans une toundra glacée. Il y avait pire: ces cubes de glace, partout, partout.
Parfois, il regrettait son choix d'électroménager. Son réfrigérateur, acheté au moins dix ans plus tôt, était magnifique, tout paré d'acier inoxydable et beaucoup plus beau que tous ces récents modèles affublés de vulgaires courbes (qui polluaient carrément les magasins depuis quelques années), mais le congélateur était franchement minuscule. Il avait choisi, à l'époque, un de ces nouveaux modèles munis d'un congélateur non pas situé dans la partie du haut, mais dans la partie du bas. Il avait cru en cette innovation. Il s'était dit que c'était une nette amélioration d'un design classique, pas juste une fonction nouvelle pour pousser les gens à consommer. Il avait été heureux longtemps de cette acquisition. Seulement, depuis quelques temps, il s'était rendu compte que tout changement apporte sa part de bien et de mal.
Le congélateur, dans la partie du bas, était plus petit que celui des modèles précédents. La raison? Comme il fallait se pencher pour atteindre le contenu du congélateur, les concepteurs de cet objet avaient imaginé un système de tiroir à glissière. À première vue, c'était là une alternative sensée. Mais c'était sans compter toute la perte d'espace que ce mécanisme allait faire perdre à l'habitacle glacé. De plus, une fois l'espace utilisé ou encombré, cette glissière se trouvait parfaitement inutilisable. Avec des glaçons dispersés partout, c'était encore pire.
Ah, oui, c'est que Robert s'était aussi procuré l'option «machine à glace». De la belle glace fraîche, sans avoir à remplir de désuets contenants qu'on ne sait jamais où mettre et qui renversent au moindre faux mouvement vers la tablette, n'était-ce pas là une porte ouverte sur un monde d'harmonie et de paix? La réponse comportait sa dose de nuances. Oui, la machine permettait de jouir de glaçons sans effort. Le système fonctionnait très bien. Trop même. En effet, la machine était si zélée que les cubes de glace pouvaient facilement finir par envahir tout l'espace, se faufilant partout, derrière les tablettes, sous le système de tiroir à glissière, parmi les aliments pris prisonniers.
Cette apparence de désordre était un milieu propice au relâchement. Ainsi, Robert, parfois, se laissait aller à une paresse qui ne lui ressemblait pas. Il ne refermait pas les boîtes de raviolis chinois. Il n'emballait qu'approximativement les blocs de parmesan. Il empilait les Tupperware n'importe comment, comme un amateur. Il achetait des produits qu'il possédait déjà, mais qui étaient inatteignables ou tout bonnement invisibles. Même ses boîtes de bicarbonate de soude n'étaient pas changées régulièrement. Il en avait déjà libéré certaines qui devaient bien avoir passé plus de cinq mois à attendre, tentant tant bien que mal de remplir leur rôle désodorisant.
Mais voilà, aujourd'hui, il était passé à l'action. Il avait tout vidé, tout nettoyé. Il avait remplacé la boîte de bicarbonate de soude. Il avait classé les aliments congelés comme il se devait. Il en avait jeté plusieurs. En pas plus d'une quinzaine de minutes, il était arrivé à faire tout ça. Et il se sentait tellement mieux. Il redécouvrait avec joie l'intérieur de son congélateur. Pourquoi s'était-il si longtemps privé de ce plaisir? «Plus jamais», se promit-il.
Il resta assis longuement sur les tuiles du plancher de la cuisine, devant cette porte ouverte, regardant l'intérieur de son congélateur. Ça lui fit tout chaud en dedans.
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