mardi 13 juillet 2010

Le cube de Robert

Seul dans la pénombre, Robert guette. Il n'y a qu'un petit trou dans un des murs salis de son refuge qui permette de voir un peu de lumière. Dehors, c'est le jour, ou du moins ce qui s'apparente maintenant le plus à ce moment qu'il a toujours connu sous ce nom. Le silence est assourdissant. Il perce les tympans de Robert, qui entend ce silence pour la première fois depuis si longtemps, peut-être pour la première fois. Ne viennent briser ce silence que tous ces sons qui lui prouvent qu'il est toujours vivant: sa respiration, le frottement de sa propre peau sur elle-même, sa salive qui descend dans son oesophage, le battement de ses cils, le battement de son coeur. Il jette un coup d'oeil dehors. Rien. Il n'y a plus rien. En fait, oui, il y a beaucoup à voir, mais il n'y a rien qui ne soit digne d'être possédé. Rien, même, qui ne soit digne d'être regardé.

À l'intérieur de son espace restreint, de quatre mètres par quatre mètres par quatre mètres précisément (il l'a bien calculé) se trouve donc tout ce qui reste. Tout ce qu'il lui reste. «C'est déjà pas mal», pense-t-il. «C'est peut-être déjà trop.»

Autour de lui, sont dispersés toutes sortes de contenants de plastique. Certains sont ouverts, d'autres fermés. Des couvercles sont entassés dans un coin. Dans l'autre coin, près de lui, des piles de contenants bien alignées sont déjà formées, en attente de se poursuivre en hauteur. Dans chacun des contenants, on peut deviner toutes sortes d'objets et de matières. Il y a des liquides, des solides, des petits morceaux, des plus gros. Le contenu, pour Robert, importe peu. Il n'a qu'un principe qui lui soit cher: ranger, tout ranger. Au centre de cette pièce cubique se trouve un amoncellement qu'il n'aime pas regarder. Il sait qu'il est là, mais ça lui pue au nez.

À toutes les minutes (ou sont-ce plutôt des heures, des mois?), il ferme les yeux et plonge sa main dans ce fouillis. Il en retire quelque chose qu'il place devant lui. Il ouvre alors les yeux et sélectionne un contenant qui conviendra. Il place la chose dans le contenant, puis il se lève et va à la recherche d'un couvercle. Il place le couvercle sur le contenant. À tous les dix contenants, il prend le temps de placer ces contenants dans les piles appropriées. Les contenants ronds avec les contenants ronds. Les carrés avec les carrés. Les rectangles avec les rectangles aux mêmes proportions.

Ensuite, il prend une petite pause. Il regarde dehors, par le trou dans le mur, puis retourne s'asseoir. Ça recommence: les yeux fermés, le fouillis, la main plongée, le contenant, le couvercle, les piles.

Arrive le temps où le centre de la pièce est enfin vide, libre. Le long des quatre murs, une mosaïque régulière de contenants monte du plancher au plafond. Robert regarde son oeuvre, grâce au mince filet de lumière qui traverse un des murs et un des contenants, celui-là laissé vide.

Il ferme les yeux.

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