dimanche 25 juillet 2010

Plus

C'est dur de faire moins quand le plus est tellement facile. Le minimalisme, c'est une quête de tous les jours. Vous voyez? J'aurais pu me contenter de ma première phrase, mais ça a été plus fort que moi. Il a fallu que j'en rajoute. Je me suis dit que ce serait plus clair, que ça se lirait plus facilement, que ça aurait un rythme plus harmonieux. Plus, plus, plus.

Toujours plus.

Je ne sais pas d'où remonte cette obsession qu'a l'être humain pour le plus. J'imagine que quand on part de rien, la route logique est celle de l'accumulation. J'imagine nos ancêtres, humains des cavernes, tous nus en plein milieu de la place, trouvant qu'il manquait peut-être un petit quelque chose dans leurs vies. Alors, ils ont commencé à ramasser des choses, à accumuler. Par contre, quand on parle d'hommes des cavernes, on présuppose déjà que ces gens-là avaient une caverne, donc, quelque chose. Une caverne, ce n'est pas rien.

Moi, j'imagine plutôt notre race humaine avant les cavernes. Il y a bien dû avoir une période où nous marchions nus et sans but, sans aucune possession. Pas de toge en fourrure, pas d'os dans les cheveux, pas de caverne. Rien. Cet humain-là ne devait jamais avoir de problèmes de rangement, laissez-moi vous le dire. Il n'avait aucun besoin d'une Katrina Cameron pour lui dire dans quel ordre ranger ses outils de couture. Il était maître de sa vie. Il avait un contrôle sur toutes les choses qu'il possédait, c'est à dire: rien du tout.

Mais un jour, il y en a un qui a tout gâché. Il s'est dit (dans son langage primitif sans adjectifs possessifs): «Tiens, et si je gardais cette pierre pointue avec moi? Je pourrais couper la nourriture avec.»

Les autres ont d'abord été surpris, puis la surprise a laissé place à une forme primitive de jalousie. Ils se sont mis à garder avec eux des pierres pointues, eux aussi. Puis des os d'animaux. Puis des fourrures. Puis ils ont eu besoin de place pour mettre tout ça. Fouillez-moi comment, mais ils ont trouvé une caverne, puis ils ont dit: «Hey, ça pourrait être notre caverne, ça!». «Notre». Ce mot-là est sorti naturellement, sans trop y penser. Ça sonnait bien. Ça donnait l'impression d'avoir accompli quelque chose. Mais ils n'étaient pas au bout de leurs peines.

Après «notre», quelqu'un a inventé «mon». Puis «ma», puis «mes». Vite, sont apparus les «tes», «ses», «sa», «la leur», «la mienne», «la tienne» et tous ces autres mots. Ça ne suffisait pas d'accumuler des pierres et des cornes de buffles, il fallait accumuler les mots pour en parler.

Avant longtemps, un petit gros avec un collier en dents de tigre autour du cou (appelons-le Maurice) a compris qu'en possédant un tas de cochonneries plus gros que celui de son voisin de caverne, il ressentait quelque chose comme de la fierté. Il s'est dit: «plus». Et il a aimé ça.

Pour faire une histoire courte (c'est déjà raté à ce niveau-là), Maurice a littéralement contagié les mentalités des ceux et celles qui le croisaient. Maurice a donné la première poussée à cette course folle du plus. Puis le plus a sévi, sévi... Plus de flèches en bois, plus de bétail, plus de sacs à grain, plus de sandales en cuir, plus de cottes de mailles, plus de cathédrales, plus de livres, plus d'argent, plus de presse-papiers en forme de balles de golf, plus de Tupperware, plus de cassettes VHS, plus d'appartements «style condo», plus de iPhones. Et plus de mots pour décrire tout cet héritage venant de Maurice et de sa bande d'humains des cavernes.

Oui, il y en a bien eu qui ont souhaité arrêter ce mouvement, comme Ludwig Mies van der Rohe (photo), en inventant des phrases comme «less is more», mais cette phrase ne faisait que s'ajouter à toutes les autres phrases dites auparavant dans l'histoire de l'humanité, se contredisant ainsi intrinsèquement elle-même. Ce n'était, en fait, qu'une phrase de plus.

Vous êtes comme moi et de tout ce plus, vous n'en pouvez plus? (Quelle merveille, la langue française, d'utiliser le même mot pour exprimer quelque chose qui s'ajoute et quelque chose qu'on cesse d'avoir!) Prenez votre mal en patience et tentez de vous y faire.

Encore plus.

3 commentaires:

  1. le premier Québécois que j'ai connu s'appelait Maurice. il n'était ni gros ni petit et ne portait pas de collier en dents de tigre autour du cou ni ailleurs. mais il portait des moustaches. d'aucuns considèrent que c'est un plus

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  2. Jean-Jacques Rousseau revisité à l'ère de l'homme des condos!

    Autre paradoxe de la langue française: le mot rien désignait à l'origine une chose (du latin res, comme dans res publica). L'élément magique est le NE qui transforme tout...

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  3. Quel priviliège d'être lu par des gens si cultivés et lettrés!

    C'est fou, mais ça donne envie d'avoir encore plus de lecteurs. Plus! Plus!! Plus!!!

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